dimanche 1 juillet 2018

Chronique manga // Mimikaki de Yarô Abe : L’Empire des sens


La sensualité du nettoyage d’oreille parle-t-elle aux utilisateurs de cotons-tiges ? Alors que l’adage invite à ne rien introduire dans son conduit auditif qui ne soit plus petit que son propre coude, le Français sera-t-il sensible à l’interdit ? Voilà deux questions qui désormais me brûlent les lèvres. 

Mimikaki de Yaro Abe (couverture)
Couverture de Mimikaki au Lézard Noir


Choisir un livre publié par les éditions le Lézard Noir peut se faire les yeux fermés (si l’on prend soin de réserver à un public averti les pépites érotico-gore de Suehiro Maruo). Les déceptions sont rares et la ligne éditoriale trouve sa cohérence dans des œuvres exigeantes et accessibles. Malgré cet a priori positif, et malgré sa joliesse, la couverture de Mimikaki ne délivre pas suffisamment d’indices à mon goût. Ce n’est qu’après une page ou deux que l’évidence s’impose : trait aux rondeurs enfantines, visuels rétro (drôles en eux-mêmes), ambiance douce amère cristallisée dans un humour potache : il s’agit d’une œuvre de l’auteur acclamé de La cantine de minuit (adaptée sur Netflix), alias Yarô Abe.


Composé sur le substantif mimi (oreille) et le verbe kaku (gratter), le mimikaki est un stick très fin en bois ou en métal dont l’embout courbe fait de l’outil un râteau-cuillère à cérumen. Citant le spécialiste du Japon Maurice Pinguet, un article de Slate consacré au dit gratte-oreille évoque un « refuge régressif » rappelant la symbiose entre la mère et le très jeune enfant. Comme l’éditeur français l’explique, parce que l’acte est souvent associé à un plaisir sensuel, il existe au Japon des établissements où le client paye pour une séance de nettoyage d’oreilles, en général effectuée la tête posée sur les genoux d’une femme.
Planche de Mimikaki de Yaro Abe
Volupté auriculaire, vous dit-on...


Mimikaki rassemble neuf histoires mêlant sensualité, humour et poésie pour raconter, par bribes, la vie d’une dizaine d’habitants de la petite ville de Nakamachi. Au centre du récit : Shizue, la patronne du salon de mimikaki, pratiquant son art dans les orifices sensibles de sa clientèle. 

S’il est publié cette année, ce Mimikaki est en fait une création antérieure à La cantine de Minuit. Le mode narratif reste le même : un personnage central mais secondaire fait le lien entre les récits de fragments de vie. Mimikaki, comme La cantine de minuit, évoque l’intime par l’organique. Par instant suranné, jamais trop loin de sentiments très contemporains, c'est un délice inattendu.

Alternative aux marronniers estivaux invitant à réveiller sa sexualité, Mimikaki nous déshabille. 





Mimikaki — L’étrange volupté auriculaire de Yarô Abe, le Lézard Noir

Traduction du japonais de Miyako Slocombe
187 pages 
Sorti en juin 2018

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