samedi 29 novembre 2014

Un cœur autocollant, un chat-sushi, ma perdition.

Je m'amuse souvent des Japonais qui ne connaissent de la France que Paris, le Mont-Saint-Michel et Nice. Ceux-là même qui adorent le beaujolais nouveau, les croissants et Tout, tout pour ma chérie. Mais moi, quand je rentrerai et qu'un Nippon m'interrogera sur mon expérience, que devrai-je répondre ? Que j'aime les sushis, les love hotels et le saké ? Parce qu'en fait, je n'aime pas tant que ça le saké. Il me rend malade.

J'ai un autocollant en forme de cœur au dos de mon portable. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Prise de conscience majeure de ces neuf mois à Tokyo Ce pays m'a perdue. 
 
Si je remonte le fil des évènements, il s'avère que les choses ont commencé avec cet innocent petit cœur publicitaire offert dans un izakaya. Je venais d'arriver à Tokyo, je l'ai trouvé moche et mignon, japoniais. Je n'étais même pas saoule. Mais parce que j'ai un sens aigu de la fête, j'ai considéré qu'une petite faute de goût serait le parfait moyen de marquer mon arrivée. Je ne l'ai jamais décollé et la situation n'a fait que se dégrader.

Alors que ces dix dernières années j'étais farouchement opposée à l'usage du smiley — parce que si tu ne comprends pas que je plaisante, nous risquons, toi et moi, de perdre notre temps. Sur Line, le WhatsApp nippon, j'utilise des stickers pour ponctuer la moindre de mes phrases. Ben oui, ils sont mignons les stickers sur Line. Tiens, y'en a même qui bougent...


Alors je n'aurais peut-être pas dû traîner aussi souvent à Akihabara. Parce maintenant j'éprouve des émotions quand je vois une jolie figurine. Oui, je vois des jolies figurines. Parfois même, mon cerveau analyse ces émotions comme la manifestation d'un besoin. Depuis peu, j'ai donc un chat-sushi qui pend de mon portefeuilles.

Aujourd'hui, je porte des robes à motifs avec un sac à dos en tweed et des chaussures fleuries. Il m'arrive de me coiffer d'une tresse sur le côté en occultant le fait que ça dénote très probablement avec mes premières rides. Et j'ai souvent la bonne idée d'assortir le tout avec un vernis bleu layette. En résumé : j'ai perdu toute notion de bon goût.

Mon style a évolué à l'image d'une des tendances de fond de la société japonaise : la régression. Mignon — un peu moins si l'on considère que mes 14 ans sont loin — et pas vraiment sexy. Mais que mes proches se rassurent : si je n'ai rien contre le régressif, je ne suis pas prête pour la dentelle et les froufrous. Il faudra attendre la vie prochaine pour faire de moi une lolita.

J'ai pris du savoir-être — de l'obséquiosité ? —, dans la manière dont je tends et reçois les objets. Ici, c'est une marque de respect. C'est aussi un bon moyen de lutter contre mes problèmes de coordination. J'ai par contre recommencé à traverser à la française. Et je n'ai pas renoncé à éternuer d'un atchoum sonore alors que c'est un discret kushan qui serait de rigueur. Ce fait m'a d'ailleurs valu une petite leçon sur l'étiquette de la part du professeur de japonais — celui qui me prend toujours en exemple pour ce qui est des incivilités. Ces moments sont autant d'invitations à pencher la tête sur le côté pour montrer mon incompréhension. Comme un chien malheureux.

Alors le Japon m'a t-il transformée en petite chose aux goûts douteux ? Probable plutôt que je n'étais qu'une petite chose aux goûts douteux qui ne demandait qu'à sortir du placard. Le kawaii m'a tuer.

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samedi 22 novembre 2014

Tokyo, M+9 : état des lieux (Partie II)

(Suite de la partie I)

Pour ce qui est de ma vie professionnelle, j'ai maintenant une dizaine d'élèves réguliers. C'est suffisant pour vivre sans flamber ni me priver. J'ai donc pu laisser tomber le café de langue. Mon cerveau ne supportait plus d'enchaîner 3h30 de conversation vide avec des inconnus. J'ai aussi mis de côté la figuration, parce qu'aussi amusant que ce soit, le caractère aléatoire des offres m'amenait à annuler des cours au dernier moment. J'ai beau adorer les bentos surgras servis sur les tournages, j'avais quelques remords. 

Mais parce qu'être cohérente est épuisant, j'ai fini par envoyer un message un samedi à minuit prétextant ne pas me sentir bien. J'étais en fait au milieu de sept heures de karaoké nomihoudai — boissons à volonté — et il n'était pas envisageable de partir. Kazuya, si tu me lis, je sais que ça nous arrangeait autant l'un que l'autre. Une heure de français un dimanche à 8h30, ce n'était pas une bonne idée. 

Parce qu'il est inévitable que certains élèves s'amourachent de leur professeur, les cours ont par moment pris un tournant délicat. J'ai moi-même été amoureuse de la moitié des personnes tenantes du savoir pendant ma scolarité, le principe m'est donc familier. Même si aucun n'a évoqué mes écrits comme motif de rupture, mon article sur la demande en mariage semble avoir initié un tri. D'ailleurs, Kouji #2 m'a informée que lui n'aurait jamais l'impudence [sic] de faire quelque chose comme ça. Parce que je suis un bon professeur [sic]. Accessoirement, il fréquente aussi une magnifique jeune femme qu'il a amenée à Londres voir le concert de Lady Gaga ; mais ça, il ne me l'a dit que plus tard. 

Note positive : il aura fallu attendre six mois pour qu'un élève potentiel me pose un lapin. Six mois, ça reste acceptable. Néanmoins, cher Takahiro, si je te croise, je te fais moi-même seppuku. Et comme je suis maladroite, ce sera long et douloureux. 
  
Reste que certains progressent plus vite que moi-même dans leur langue et que c'est aussi gratifiant que vexant. Parce qu'il faut être honnête : mes progrès sont subtils. Je continue d'assister aux cours proposés par mon arrondissement deux matinées par semaine et je tiens mon journal en japonais. Les phrases que je produis sont d'une simplicité à pleurer et pourtant bourrées d'erreurs. Malgré tout, je garde espoir : j'arrive à lire quelques kanjis et depuis que j'ai appris à réceptionner mon ticket de caisse à mener des interactions parfaitement chorégraphiées avec les caissières — lorsque ces dernières ont la gentillesse de réduire l'échange au minimum. 

Est-ce lié ? Mon réseau amical reste limité. Tellement limité que je suis tentée d'y inclure la caissière du Seiyu, celles du Macdonald's et l'équipe du restaurant qui sert un fantastique okonomiyaki au poulpe à moins de 800¥. En fait, mis à part un ou deux élèves et la délicieuse Megumi, je n'ai pas d'amis japonais. C'est regrettable mais je ne suis pas certaine que ce soit entièrement ma faute. 

Enfin, sécurité extraordinaire oblige, j'ai fini par oublier mon portable au café. En extérieur. Et je ne m'en suis rendue compte que quelques stations plus loin sur la ligne Yamanote. Une vingtaine de minutes plus tard, la serveuse me l'a rendu avec cérémonie en se fendant de commentaires sur l'autocollant au dos oui, j'ai maintenant un autocollant au dos de mon téléphone, il est même en forme de cœur. Je n'ai pas tout compris de ce qu'elle m'a dit mais elle était jolie, elle avait les joues roses et elle m'a fait un signe de la main quand je suis partie. Pour cet instant, et quelques autres, il devient évident que je ne peux pas partir.

mardi 18 novembre 2014

Tokyo, M+9 : état des lieux (Partie I)

Neuf mois que je suis arrivée à Tokyo. Ma seule certitude, c'est que neuf mois, c'est trop court pour envisager de passer à autre chose. J'aime mon quotidien de gaijin précaire et il y a encore trop à voir et à faire. Surement parce que je manque d'imagination, je ne vois pas comment être aussi heureuse ailleurs.

En fait, je crois que ce qui me manquerait le plus, c'est la nourriture. Toute française que je suis, je suis d'une grande tolérance en matière de bizarrerie alimentaire ; vivre au Japon me permet de tester quasi-quotidiennement mes limites. C'est peut-être aussi mon problème : depuis l'histoire des manjū de Fukushima, j'oublie de m’inquiéter de la provenance des aliments que j'ingère. Où a été pêché le poisson de mon sushi ? D'où provient le riz de mon onigiri ? Dans quel sol a poussé la millième yaki imo  — patate douce grillée texture purée, goût châtaigne — que j'ai mangée depuis le début de l'automne ? Je n'en sais rien. Et parce que je ne sais même plus si je devrais en tenir compte, l'information finit par ne plus m'intéresser.

Parmi mes élèves, il y a Itaru, quinquagénaire élégant dont la carrure imposante le fait sortir des standards du pays. L'un de ses proches est propriétaire d'une station-service en bordure de la zone de sécurité entourant Fukushima-Daiichi. A la fin de l'été, Itaru lui a envoyé des nashi — sortes de pommes-poires surdimensionnées potentiellement contondantes — et le mois dernier, il lui a rendu visite. C'est tout ce qu'il peut faire.

Parce qu'il est ingénieur, Itaru est probablement plus apte que la plupart à estimer la gravité de la situation mais, plein de ce fatalisme stoïque, il n'est ni dans l'optique de dramatiser ni dans celle de s'apitoyer. Il me parle plutôt de la passion quasi-obsessionnelle de son fils pour l'univers ferroviaire, de sa fille, de sa femme, de son chat ou de Marie Curie, dont la mort aurait été anticipée par ses travaux sur la radioactivité. J'aime beaucoup Itaru et c'est probablement réciproque : un jour, il m'a offert un nashi.

Avant de m'expatrier, je pensais à ces pauvres Japonais manipulés par les pouvoirs publics et incapables d'ouvrir les yeux sur le danger qui les menace. Maintenant, je suis des leurs, je partage leur aveuglement. Est-ce l'influence du Suicide Club de Sono Sion ? Si je suis témoin du suicide collectif d'un groupe auquel je me sens liée, je me dois peut-être d'y prendre part. Et puis bon, vivre tue, nous sommes nés pour mourir... tout ça, tout ça. 

En attendant, j'observe la vie des autres depuis le Macdonald's où je passe mes journées. Je peux y donner des cours, écrire et étudier ou charger mon téléphone en écoutant les Smiths — et plus récemment le générique de Yōkai Watch. Je partage l'espace avec les sans-abris, les étudiants et le dimanche avec les clients du WINS — le PMU local, la bière en moins — venus préparer leur tiercé. Notre point commun : une addiction au café glacé à 100¥.

Si cette septuagénaire impassible qui mange ses frites engoncée dans son kimono offre un spectacle terriblement photogénique pour mon œil de demi-touriste, la scène n'a rien d'extraordinaire. Dans cette ville par certains aspects hyper-moderne, la tradition n'a pas été reléguée au rang de folklore, elle fait partie du quotidien. Cette ambivalence que je pensais appartenir aux lieux communs, je l'expérimente tous les jours. Et est-ce le charme facile du cliché ? je crois que j'aime bien ça.


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vendredi 14 novembre 2014

Parents, votre prochain cauchemar s'appelle Yōkai Watch.

Pour Noël, ma tante, fervente téléspectatrice des programmes de M6, m'a demandé de lui ramener une poupée Fuchiko. Internet m'apprend qu'il s'agit de ces figurines qui sont amusantes parce qu'elles sont mises en scène dans positions différentes et qu'elles sont toutes petites. Alors on les pose sur le rebord du verre et on passe un bon moment. Pour finir de me convaincre, Google me renvoie vers un replay de 100% Mag expliquant que les Japonais en sont fous. 

Je suis toujours un peu surprise par le traitement de l'actualité nippone par les médias français. Comment se débrouillent-ils pour être si subtilement à côté de la plaque ? Le moindre tremblement de terre représente un évènement majeur, alors qu'à mon niveau je ne peux relever qu'un peu de thé renversé sur la table. De la même façon, chaque typhon est filmé à grand renfort de parapluies cassés et de jupes qui se soulèvent. Pourtant Tokyo est généralement épargné et jusque-là, les trombes d'eau n'ont pas changé quoi que ce soit à mon quotidien. Tant pis si nos proches s'inquiètent ;  considérons qu'avec mes pieds humides, je suis une miraculée.

Donc si on la trouve un peu partout, Fuchiko n'est pas la dernière lubie nippone. Je salue par contre le ou la responsable presse du distributeur qui a très bien vendu sa petite histoire.  

Peut-être pas aussi charmante qu'une figurine assise sur le rebord du verre, la dernière obsession locale, c'est Yōkai Watch. Une franchise. Une impressionnante franchise associant notamment le fabricant de jouets Bandai et l'éditeur de jeux vidéo Level-5, lancée en 2011 mais massivement popularisée depuis le début de l'année avec la diffusion télévisée du dessin animé et le lancement du jeu sur 3DS.  

Yōkai Watch repose sur l'association du fantasme universel de la montre magique — depuis le visiophone de la nièce de l'inspecteur Gadget jusqu'à l'Apple Watch — et le pillage de la franchise à succès de la décennie précédente : Pokémon.

Les yōkai, fantômes du folklore japonais, sont donc la nouvelle génération de créatures mignonnes qui obsèdent ces chères têtes brunes. La montre susmentionnée permet d'entrer en contact avec eux pour résoudre les problèmes que les plus malveillants causeraient. La principale différence avec Pokémon, c'est que ce sont leurs messages écoutables en insérant une médaille dans la montre qu'il va maintenant falloir collectionner. 



La montre existe en deux couleurs, chaque modèle n'est compatible qu'avec un certain nombre de médailles. Les deux ont en commun d'être ridiculement trop grandes pour le poignet d'un enfant. Mais peu importe, après s'être écoulées en un temps record provoquant des files d'attentes inimaginables, les montres sont aujourd'hui encore en rupture de stock. Ainsi, en août dernier, et alors que le marché n'est pour le moment limité qu'au Japon, le PDG de Bandai déclarait prévoir la fabrication de deux millions de nouvelles montres et 100 millions de médailles d'ici la fin de l'année.

Partout, le thème a remplacé celui de Frozen. Afin de briller lors de ma prochaine soirée karaoké, j'ai ressenti le besoin d'en étudier les paroles. Il évoque notamment le fait qu'ingérer des poivrons induiraient la déjection de scelles malodorantes. Je ne saurais dire s'il s'agit d'une réalité scientifique, j'ai néanmoins remarqué que la version diffusée chez Macdonald's a été allégée de ce passage.

Parce que oui : Yo deru yo deru yo deru yo deru, Yōkai deruken derarenken !
 
Une montre magique, plusieurs centaines de médailles à collectionner, un jeu vidéo, un manga, une série animée, un long métrage à venir, des produits dérivés à la pelle, le tout servi par un hymne entêtant avec chorégraphie simpliste... Combien de temps avant que l'épidémie ne se propage en France ? 

Mais ce qu'il y a de perturbant avec Yōkai Watch, ce n'est pas tant son succès colossal que le fait que, bien que ciblant des consommateurs âgés d'une dizaine d'années, elle obsède également de nombreux adultes.

Dans le quartier geek d'Akihabara, sur les machines permettant de gagner des médailles inédites, je n'ai vu que des adultes, des vieux adultes. Ils se relayaient patiemment, reprenant docilement leur place dans la file après avoir perdu. J'ai eu beau essayer de me convaincre qu'ils étaient mieux dans ce petit couloir sombre avec leur classeur à médailles sous le bras plutôt qu'au PMU, j'ai ressenti un malaise similaire.  

Kouji, quadragénaire bonhomme fan de Lady Gaga, à qui je demande de tenir son journal en français m'a lui aussi raconté ses aventures à Akihabara. En résumé, s'il ne s'est pas encore acheté la montre ce qui, selon mes estimations, ne saurait tarder une fois qu'elles seront de nouveau en rayon, il a pris plaisir à faire la queue plusieurs heures pour acheter le gadget qu'il a ensuite revendu à l'une de ses collègues, après avoir organisé un tirage au sort parmi les heureux parents de son service. Le plus gênant était sans doute sa conclusion : ayant reçu une lettre de remerciement du fils de la gagnante, il a estimé que c'était la première fois de sa vie qu'il s'était senti utile.

D'ailleurs, que racontent les esprits ? Kouji n'a pas été en mesure de me le dire. Reste qu'à titre de comparaison, une planche de ouija ne coûterait aux familles qu'une vingtaine d'euros. Elle serait plus respectueuse de l'environnement, pourrait être transmise de génération en génération et offrirait une liberté de communication que la montre Yōkai ne peut offrir. Non vraiment, le spiritisme, c'est plus ce que c'était.

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vendredi 7 novembre 2014

Japon, que sont devenues tes idoles ?

Éphèbes et nymphettes, jetables et interchangeables ; le phénomène des idoles existe au Japon depuis les 60’s et serait inspiré de nos poupées yéyé. Mais lost in translation, quelque chose s'est perdu dans la traduction : l'aïdoru a muté. Médiatisation maximale, créativité toute relative ; la créature a engendré un trou noir culturel absorbant une scène indépendante pourtant vivace.

A défaut d'avoir des choses à dire, ces jeunes gens monopolisent l'espace. Vidéos diffusées en continue sur les écrans géants de la capitale, titres matraqués par des camions promotionnels ; ils seront également présents dans n'importe quel programme télé où, s'ils ne dégustent pas un ramen dans la dernière gargotte à la mode, on les mettra en scène pour gagner le cœur de l'adolescente qui sommeille en chaque spectateur. 

Avec sa soixantaine de membres divisée en quatre équipes, ses émissions télé et sa déclinaison interminable de produits dérivés, AKB48 est le Godzilla du marché. Né dans l'esprit de Yasushi Akimoto, producteur de films d'horreur à ses heures perdues, le groupe collectionne les records de ventes nationaux et internationaux — fait d'armes d'autant plus admirable qu'un de leurs singles s'intitule Golden Retriever

 Mercato intra-équipes et "groupes-sœurs" quand on tient un bon filon, il serait idiot de ne pas le décliner , ses effectifs fluctuent au gré des saisons et des petits scandales (Wikipédia en propose un résumé, je vous l'épargne). Si elles ne sont pas renvoyées au rang de stagiaire, les exclues sont pudiquement “diplômées”. Précarité et autonomie réduite à rien, le statut n'a rien d'enviable mais il continue à faire rêver.

Pour ceux qui ne souhaitent pas apprendre grand-chose de plus, voici une excellente interview en anglais de Tomomi 'Tomo' Itano, l'une des principales icônes du groupe.


Alors non, l'Occident n'a pas été épargné par les groupes-concepts. Au commencement était le boys band, de sa cuisse est né le girls band. Plus tard est arrivée Britney Spears vendue en kit, virginité incluse. Pour autant, le Japon reste LE pays du groupe-produit. Ici, l'idole est livrée prête à l'emploi, avec sa fiche d'identité indiquant date et lieu de naissance, poids, groupe sanguin et hobbies (généralement la cuisine et le shopping). 

Parler des idoles, c'est aussi parler de leur public. Alors que Natsumi, une de mes élèves fan d'AKB48, m'expliquait que son mari et elle soutenaient chacun leur chanteuse préférée certaines chanteraient pour de vrai comme d'autres le feraient pour une équipe de foot, d'où vient cette image du fan japonais déséquilibré ? Est-ce seulement un fantasme d'occidental suspicieux devant un enthousiasme inattendu ?

Le fait est que la fiction japonaise participe à véhiculer l'image d'un fan influençable et perturbé. Quatre ans avant la création d'AKB48, les personnages du Suicide Club de Sono Sion suivaient les instigations subliminales de Dessert, mignonnes pré-ados invitant les masses au suicide. Chez Takeshi Kitano, l'un des personnages de Dolls se crève les yeux pour pouvoir approcher Haruna, ex-chanteuse à succès défigurée qui s'est exclue du monde. La réalité ne dépasse pas la fiction mais elle lui fait honneur. Les faits divers rapportés ici et confirment l'impact disproportionné que ces objets de divertissement peuvent avoir sur un public ici peut-être plus souvent qu'ailleurs fanatique. 

Moi-même, je ne suis pas totalement épargnée : je me suis entendue chanter le refrain d'une chanson d'AKB48 au karaoké, et si je préférerais les détester, certains de ces produits me plaisent plus que je ne peux l'avouer.


[Comme le clip de Spending All My Time des Perfume.]


L'autre soir, je dinais avec Seijo, un de mes anciens élèves chargé de clientèle chez Dentsu, la plus grosse agence de publicité du pays. A l'époque, il m'expliquait que son patron lui avait proposé de réfléchir à un nouveau concept pour ce marché déjà saturé. Après AKB48, les BABYMETAL, trois délicieuses enfants réclamant du chocolat sur une nappe sonore bruyante et plus récemment Chubbiness, dont les membres sont contractuellement tenues de ne pas perdre de poids... Cher Japon, quel est l'avenir de tes idoles ?  

Le cynisme ayant fini d'infuser en moi, j'ai trouvé. Et au risque d'y perdre mon âme, j'étais impatiente d'en discuter avec lui. Parce qu'un léger défaut est nécessaire pour rendre la perfection vraiment engageante, au pays du hentai, la clé est dans la perversion qui ne dit pas son nom. Ici, avoir les jambes arquées, les dents en bataille et une compresse qui recouvre l’œil peut être considéré comme charmant, voire sexy. Le Japon réclame un freak show mignon. Par chance, la seule chose qui intéressait Seijo le soir de nos retrouvailles, était de fixer une date à laquelle nous coucherions ensemble. Ce n'est donc pas demain que je perdrai mon âme à monter un groupe d'idoles handicapées. Dommage. 

Vestales des temps modernes dont la pureté se veut garantie par le contrat qui les lie à leur producteur, les idoles japonaises sont probablement les gardiennes d'un temple. Reste à déterminer le temple de quoi.

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