Armure sculpturale
ou uniforme d’écolière, lestée d’une mitraillette ou sabre au
clair, la fillette guerrière déloge une molaire ensanglantée
de sa chevelure lagon. Elle époussette sa mini-jupe. Le regard vague, elle sourit.
Tout récemment
initiée aux mangas et jamais vraiment convertie aux anime, je l’ai
découverte au travers de la novella Kamikaze Girl de Takemoto
Novala, de son adaptation cinématographique et d'une poignée de
films flirtant avec la marge pour mieux aguicher le grand public. Je
pense notamment à Battle Royale de Kinji Fukasaku, Love
Exposure de Sono Sion, et plus récemment d’Avant que nous
disparitions de Kiyoshi Kurosawa.
Elle s’est depuis
imposée à moi comme un immanquable du paysage culturel japonais. Si
on la croise à l’occasion dans nos contrées — Elle s’appelle
Buffy et elle tue les vampires. —, c’est bien au Japon qu’elle
règne en maîtresse.
Tomber sur
Beautiful fighting girl du Japonais Tamaki Saitô à la
médiathèque de la Japan Foundation est probablement un signe de sa
part : la jeune fille guerrière existe et veut qu'on parle d'elle.
J'ai donc entre les mains la version anglaise d'un essai publié en
2000. Alors j'ouvre une parenthèse et m’interroge : le traducteur
qui, en 2011, s'est vu contraint de traduire que Altavista était le
plus grand moteur de recherche s'en est-il remis
?
L’interminable
titre japonais, Sentō bishōjo no seishin
bunseki, pourrait se traduire en français par Psychanalyse
de la jolie fille guerrière (Saitô est psychologue de
formation.) et j’ai bon espoir de trouver dans ces 240 pages de
savants éléments de réponse aux questions que je ne me pose pas
encore.
Si Tamaki Saitô
voit Jeanne d’Arc comme la reine et l’ancêtre de toutes les
jolies fillettes en armes, il s’attache à faire de ces dernières
une spécificité japonaise. Citant les exemples de Barbarella et de
Cat Woman, il considère qu’hors de l’archipel, ces guerrières,
généralement adultes, sont des “hommes dans des corps de femmes”.
Car le mignon serait le propre du Japon. Le nez enfoncé dans son île
natale, Saitô est visiblement passé à côté des Powerpuff
Girls (en français, dans une traduction datée et datable, Les
Super Nanas), superhéroïnes mignonnes à l’excès lancées
sur Cartoon Network en 1998 (soit deux ans avant la publication de
Beautiful fighting girl).
Au
fil des pages, j'apprends qu'elle combat depuis les années 60,
d’abord dans les créations de Shôtarô Ishinomori (à qui l’on
doit notamment San
Ku Kaï).
Magicienne dans les années 60, métamorphe dans les années 70
(passer de gamine sans histoire à superhéroïne en enfilant
justaucorps, cape et bottines symbolise le passage à l’âge
adulte), elle revient au début des années 90 magicienne et
transformeuse : elle est Sailor Moon. La fin du millénaire fera
d’elle une misanthrope (Rei
Ayanami de Neon Genesis Evangelion)
et une cyborg (Motoko
Kusanagi de
Ghost
in the Shell).
Alors
certains questionnent, prudents : n'annoncerait-elle pas la montée
du féminisme nippon ? L'auteur, sans surprise, réfute l'idée
en évoquant tour à tour le caractère fictionnel et l'objectification
du personnage comme indicateurs de son innocuité.
Couverture du volume 1 de Jyoshikohei (Jiro Matsumoto) |
Reste qu'en
rupture avec l’idéal de demoiselle en détresse (la bishōjo,
belle jeune fille, à la fois douce et discrète), la jeune fille
guerrière contourne les lieux communs. Elle serait aimée
précisément pour sa pureté, sa fragilité et sa douceur, attributs
qu’elle parvient à mettre de côté au cœur de la bataille. On ne
se débarrasse pas des stéréotypes comme ça, d’ailleurs il n’est
dit nulle part que le Japon qui a vue naître cette héroïne ambiguë
souhaite se débarrasser des dits clichés.
Comme
l’explique la postface, avec son Beautiful
fighting girl,
Tamaki
Saitô
opère un défrichage et son analyse à la lorgnette laisse de
nombreux angles morts. Le psychologue, sans vraiment s’en cacher,
choisit de psychanalyser l’otaku qu’il voit comme un groupe
uniforme de mâles hétérosexuels. En faisant de la jolie fillette
guerrière un support de fantasmes et un exutoire (l’expression
d’onanic
pet, animal-de-compagnie-chouchou-support-masturbatoire,
ne s’est plus délogée de mon esprit), il s’épargne d’analyser
son influence sur le public féminin pourtant visé par l’essentiel
de ces productions.
Retenons
que la très blonde Buffy Summers est née d’un couple
américano-japonais et que le personnage serait directement inspiré
du modèle de la jolie fillette guerrière nipponne.
Au-delà de l'apport de l'essai (ni toujours accessible ni toujours
pertinent), il y a l’héroïne. Un temps unique au monde, la
jolie fillette guerrière est devenue une convention du genre manga
avant d'imprégner tous les pans de la culture nipponne et mondiale
(vue au Kebab dans le clip de Flames,
la toute récente collaboration entre David Guetta et Sia). Icône
féministe ou symbole misogyne selon qui s’en empare, la jolie
fillette guerrière incarne la revanche des faibles. Être une fille
chastement libérée, tu sais, c'est pas si facile.