Lieu de perdition par excellence, je me dois de placer Don Quijote (Donki pour les intimes), au
sommet des éléments emblématiques du Japon. J’ai bien conscience qu’élever un
magasin au rang de symbole d’un pays, c’est véhiculer l’idée que je n’ai rien
compris à la vie. Parce que oui, je pourrais passer mes journées à m’initier à
la calligraphie et à l’ikebana (l’art
de la composition florale) mais au lieu de ça, je préfère perdre mon temps dans
un supermarché discount qui a pris pour icône un pingouin bleu obèse,
coiffé d’un bonnet de Père Noël. Shikata ga nai[1],
mon ami(e).
Selon
son site, le modèle économique de l’enseigne repose sur trois axes : praticité,
promotion et… divertissement. Au Japon, tout ce qui n’est pas travail se doit d’être
divertissant. Miracle Shopping, le
sautillant thème diffusé en boucle dans les 160 établissements du groupe — et
dont le Don, don, don, donqui, donqui…
joteeehhhh se grave sournoisement dans le cerveau — prêche la bonne parole.
« C’est comme une chasse au trésor… Premier
arrivé, premier servi… Même en pleine nuit… Une jungle de bonnes
affaires… » (http://picosong.com/P4sS)
Son interprète, une certaine Maimi
Tanaka, nous explique ça avec un tel entrain qu’il est difficile de ne pas la
croire. Elle est présentée sur la page Wikipédia de l’entreprise comme l’une de
ses employés. J’ai eu beau chercher d’autres informations, cette brave
Mademoiselle Tanaka pourrait aussi bien être décédée — quoi
qu’à ce moment-là, j’aurais peut-être trouvé plus d’éléments. En attendant,
l’anecdote participe à la popularité de la chaîne. Et c’est vrai que parfois,
en pleine nuit, on ressent le besoin d’aller essayer cette élégante coiffe en
forme de Nigiri ou de découvrir le coussin en forme d’étron que notre ami(e) a vu
la veille au troisième étage. Parce que non, ce genre de choses n’attend pas.
Avec un petit côté Babou en plus
improbable, Don Quijote me rappelle le Perthus. Et j’imagine qu’il est possible
de remplacer le Perthus par le nom de n’importe quelle autre ville frontalière
dont les magasins débordent de produits détaxés supposément exotiques. Enfant,
J'adorais passer la journée au Perthus. C'est d’ailleurs là que j'ai réclamé à
ma grand-mère ce ravissant petit ensemble veste/mini-jupe en skaï, en vain. Et
si je ne sais pas d'où vient cette passion enfantine pour le putassier, une
association d'idées débouchant sur une autre, je crois pouvoir dire que Donki
est un magasin vulgaire-sympa, chargé de ce parfum d’alcool bradé, de
nourriture un peu trop grasse et de mignon ensemble en skaï taille 6 ans.
J’aime passer tôt le matin devant
celui du quartier d’Asakusa et voir les employés retirer les bâches des sept
gigantesques aquariums qui encadrent l’entrée. J’aime aussi passer de longues
minutes à regarder le fugu du bocal principal parce que je sais qu’il me reconnaît et que quand il est de bonne humeur, il
vient me dire bonjour. Fugu avec sa tête large est le seul à avoir la place
pour un vrai cerveau et c’est, avec son regard mélancolique, ce qui me plaît
chez lui.
Entre alimentaire ennuyeux et produits
d’hygiène dont la clientèle n’a pas su quoi faire, l’entrée se veut hall des
bonnes affaires. On découvre les couleurs criardes et l’agencement foutraque
emblématiques du lieu. Le reste du niveau est consacré à l’alimentaire et est
grossièrement divisé en trois parties : snacks salés (grande variété de
poissons et de céphalopodes séchés), snacks sucrés, snacks sucrés à base de
matcha (la poudre de thé vert). Le matcha au Japon, ce serait le chocolat
partout ailleurs. A peu près tout ce qui est sucré doit pouvoir se décliner
parfum matcha. En cherchant bien, là-bas au fond, on
trouvera aussi quelques légumes et yaourts. ça déborde et ça manque de logique mais
c'est normal parce que comme l’explique Maimi, c’est une jungle de bonnes affaires — et qui dit jungle de bonnes affaires dit qu’il serait donc complètement idiot
de tomber directement sur le produit que l’on cherche.
A l’étage du dessus, il fait bon s’asseoir
sur les banquettes pour regarder les adolescentes se remaquiller. Les gens qui
appliquent sur leur visage les cosmétiques d’exposition me fascinent. Toutes
les adolescentes du monde font ça mais j’imaginais naïvement que les Japonais(es)
avaient un plus grand souci de l’hygiène que, disons, les Français(es) — je
confesse avoir déjà moi-même refait ma manucure sur place. J’ai envie de les
arrêter, de leur dire que c’est sale mais je n’en fais rien. Je les contemple.
Je connais un secret que je n’ai pas le droit de leur révéler : jeune
fille, demain, tu vas avoir plein de boutons et il ne faudra pas venir te
plaindre.
Il ne faudra pas non plus manquer les produits d’Unicharm qui propose des serviettes
hygiéniques « cochon-ailé-couronné » pour vous, Mesdames. La marque,
soucieuse d’élargir son marché, n’oublie pas votre meilleure amie à quatre pattes.
Difficile de ne pas s’interroger sur ce qui s’est passé dans la tête des personnes
en charge du design du premier mais je suis séduite.
Au même
étage que le coussin-caca, on pourra également se laisser tenter par un petit sac
Chanel. Un coup d’œil distrait laisserait penser que les produits ont
directement été importés de la porte de Clignancourt mais les antivols et les
prix indiquent, eux, que ces jolies choses sont bien authentiques. D’étranges
mannequins en plastique simplement vêtus d’un tablier de cuisine pour
promouvoir les parfums Fendi ; un vilain poney en peluche, son étiquette encore
attachée à l’oreille et des fleurs en plastique pour inciter à l’achat d’un portefeuille
Hermès à 1500€ ; ici plus que n’importe où dans le magasin, le merchandising
laisse songeur. Chères enseignes parisiennes, les Japonais viennent de
redéfinir la notion d’extravagance, il est temps de vous mettre à la page.
En matière de vulgarité, Don Quijote
a plus d’une corde à son sac [quitte à céder aux jeux de mots, autant qu’ils
soient complètement à côté de la plaque, merci de votre compréhension.]. Le magasin a d’ailleurs son propre rayon sex shop correctement
fourni en produits plus ou moins glauques (mention spéciale pour les vagins
factices disponibles aux dimensions « petite fille »). Par contre, au moment de passer en caisse avec des préservatifs ou des serviettes
hygiéniques cochon-ailé-couronné, le caissier, d’habitude soucieux de commenter
à haute voix chacune de ses actions sur le modèle du « je scanne ça et ça
coûte tant », restera silencieux. Et pour éviter de contaminer
le reste des achats, il glissera discrètement le produit à part dans un
sachet en papier opaque.
C’est aussi ça le miracle
shopping.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire