mardi 17 juin 2014

Don Quijote, shopping miracle et coussin-étron



Lieu de perdition par excellence, je me dois de placer Don Quijote (Donki pour les intimes), au sommet des éléments emblématiques du Japon. J’ai bien conscience qu’élever un magasin au rang de symbole d’un pays, c’est véhiculer l’idée que je n’ai rien compris à la vie. Parce que oui, je pourrais passer mes journées à m’initier à la calligraphie et à l’ikebana (l’art de la composition florale) mais au lieu de ça, je préfère perdre mon temps dans un supermarché discount qui a pris pour icône un pingouin bleu obèse, coiffé d’un bonnet de Père Noël. Shikata ga nai[1], mon ami(e).

Selon son site, le modèle économique de l’enseigne repose sur trois axes : praticité, promotion et… divertissement. Au Japon, tout ce qui n’est pas travail se doit d’être divertissant. Miracle Shopping, le sautillant thème diffusé en boucle dans les 160 établissements du groupe et dont le Don, don, don, donqui, donqui… joteeehhhh se grave sournoisement dans le cerveau prêche la bonne parole.

« C’est comme une chasse au trésor… Premier arrivé, premier servi… Même en pleine nuit… Une jungle de bonnes affaires… » (http://picosong.com/P4sS)

Son interprète, une certaine Maimi Tanaka, nous explique ça avec un tel entrain qu’il est difficile de ne pas la croire. Elle est présentée sur la page Wikipédia de l’entreprise comme l’une de ses employés. J’ai eu beau chercher d’autres informations, cette brave Mademoiselle Tanaka pourrait aussi bien être décédée quoi qu’à ce moment-là, j’aurais peut-être trouvé plus d’éléments. En attendant, l’anecdote participe à la popularité de la chaîne. Et c’est vrai que parfois, en pleine nuit, on ressent le besoin d’aller essayer cette élégante coiffe en forme de Nigiri ou de découvrir le coussin en forme d’étron que notre ami(e) a vu la veille au troisième étage. Parce que non, ce genre de choses n’attend pas.



Avec un petit côté Babou en plus improbable, Don Quijote me rappelle le Perthus. Et j’imagine qu’il est possible de remplacer le Perthus par le nom de n’importe quelle autre ville frontalière dont les magasins débordent de produits détaxés supposément exotiques. Enfant, J'adorais passer la journée au Perthus. C'est d’ailleurs là que j'ai réclamé à ma grand-mère ce ravissant petit ensemble veste/mini-jupe en skaï, en vain. Et si je ne sais pas d'où vient cette passion enfantine pour le putassier, une association d'idées débouchant sur une autre, je crois pouvoir dire que Donki est un magasin vulgaire-sympa, chargé de ce parfum d’alcool bradé, de nourriture un peu trop grasse et de mignon ensemble en skaï taille 6 ans.

J’aime passer tôt le matin devant celui du quartier d’Asakusa et voir les employés retirer les bâches des sept gigantesques aquariums qui encadrent l’entrée. J’aime aussi passer de longues minutes à regarder le fugu du bocal principal parce que je sais qu’il me reconnaît et que quand il est de bonne humeur, il vient me dire bonjour. Fugu avec sa tête large est le seul à avoir la place pour un vrai cerveau et c’est, avec son regard mélancolique, ce qui me plaît chez lui. 



Entre alimentaire ennuyeux et produits d’hygiène dont la clientèle n’a pas su quoi faire, l’entrée se veut hall des bonnes affaires. On découvre les couleurs criardes et l’agencement foutraque emblématiques du lieu. Le reste du niveau est consacré à l’alimentaire et est grossièrement divisé en trois parties : snacks salés (grande variété de poissons et de céphalopodes séchés), snacks sucrés, snacks sucrés à base de matcha (la poudre de thé vert). Le matcha au Japon, ce serait le chocolat partout ailleurs. A peu près tout ce qui est sucré doit pouvoir se décliner parfum matcha. En cherchant bien, là-bas au fond, on trouvera aussi quelques légumes et yaourts. ça déborde et ça manque de logique mais c'est normal parce que comme l’explique Maimi, c’est une jungle de bonnes affaires et qui dit jungle de bonnes affaires dit qu’il serait donc complètement idiot de tomber directement sur le produit que l’on cherche.

A l’étage du dessus, il fait bon s’asseoir sur les banquettes pour regarder les adolescentes se remaquiller. Les gens qui appliquent sur leur visage les cosmétiques d’exposition me fascinent. Toutes les adolescentes du monde font ça mais j’imaginais naïvement que les Japonais(es) avaient un plus grand souci de l’hygiène que, disons, les Français(es) je confesse avoir déjà moi-même refait ma manucure sur place. J’ai envie de les arrêter, de leur dire que c’est sale mais je n’en fais rien. Je les contemple. Je connais un secret que je n’ai pas le droit de leur révéler : jeune fille, demain, tu vas avoir plein de boutons et il ne faudra pas venir te plaindre.




Il ne faudra pas non plus manquer les produits d’Unicharm qui propose des serviettes hygiéniques « cochon-ailé-couronné » pour vous, Mesdames. La marque, soucieuse d’élargir son marché, n’oublie pas votre meilleure amie à quatre pattes. Difficile de ne pas s’interroger sur ce qui s’est passé dans la tête des personnes en charge du design du premier mais je suis séduite.


Au même étage que le coussin-caca, on pourra également se laisser tenter par un petit sac Chanel. Un coup d’œil distrait laisserait penser que les produits ont directement été importés de la porte de Clignancourt mais les antivols et les prix indiquent, eux, que ces jolies choses sont bien authentiques. D’étranges mannequins en plastique simplement vêtus d’un tablier de cuisine pour promouvoir les parfums Fendi ; un vilain poney en peluche, son étiquette encore attachée à l’oreille et des fleurs en plastique pour inciter à l’achat d’un portefeuille Hermès à 1500€ ; ici plus que n’importe où dans le magasin, le merchandising laisse songeur. Chères enseignes parisiennes, les Japonais viennent de redéfinir la notion d’extravagance, il est temps de vous mettre à la page.


En matière de vulgarité, Don Quijote a plus d’une corde à son sac [quitte à céder aux jeux de mots, autant qu’ils soient complètement à côté de la plaque, merci de votre compréhension.]. Le magasin a d’ailleurs son propre rayon sex shop correctement fourni en produits plus ou moins glauques (mention spéciale pour les vagins factices disponibles aux dimensions « petite fille »). Par contre, au moment de passer en caisse avec des préservatifs ou des serviettes hygiéniques cochon-ailé-couronné, le caissier, d’habitude soucieux de commenter à haute voix chacune de ses actions sur le modèle du « je scanne ça et ça coûte tant », restera silencieux. Et pour éviter de contaminer le reste des achats, il glissera discrètement le produit à part dans un sachet en papier opaque. 

C’est aussi ça le miracle shopping.

 www.donki.com 


[1] En vrai japonais : 仕方がない, « on ne peut rien y changer ».

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

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