“Pourquoi
devrais-je quitter la supérette et chercher un poste ordinaire ?
Cela me dépassait. Après tout, sortie de mon manuel de l’employé
dont j’appliquais à la perfection les directives, je n’avais pas
la moindre idée de la façon dont fonctionnait une personne
normale.”
Couverture de Konbini de Sayaka Murata |
Un
instantané de la société japonaise au travers du quotidien d’une
supérette, voilà ce que nous propose Sayaka Murata. Son Konbini
est un roman pop dans le sens le plus noble du terme : léger dans la
forme, il ne se dispense pas d’apporter du fond. La problématique
pourrait se résumer en une question tirée du roman : “Il a déjà
35 ans. Il serait temps pour lui d’arrêter les petits boulots, non
?”
Le
terme Konbini est la contraction japonaise des termes anglais
convenience store, le magasin de proximité. Présent à
chaque coin de rue à Tokyo, on y trouve de tout : des produits
d’hygiène aux boissons alcoolisées, en passant par les plats
préparés et les magazines. On y fait ses photocopies et l’on y
paye ses factures. S’il fallait comparer le konbini
avec son équivalent français, je dirais que le premier est
lumineux, propre, bien achalandé et abordable. Au-delà de son
aspect pratique, le konbini constitue un repère, parfois même
un repaire.
Murata
connaît son sujet : il est d’ailleurs dit que malgré la réception
du prix Akutagawa (l'équivalent du Goncourt), elle continue de
travailler à temps partiel dans une de ces supérettes. L’auteure
brosse le fonctionnement de cet organisme au rythme établi. Elle
détaille les habitudes de consommation de ses contemporains et
décrit jusqu’au bruit de la canette qui se déplace le long du
rail frigorifique en remplacement de celle qui vient d’être
vendue. L’auteur évoque avec tendresse ce spectacle immuable,
le chant du konbini.
Marquée
par un trouble du spectre autistique, Keiko Furukura, l’héroïne
du roman, joue l’humain ; son personnage apprend par
imitation. En s’alimentant exclusivement de produits du
konbini, elle revendique son appartenance à cet organisme. La
jeune femme et son alter ego masculin ont conscience d’avoir trouvé
leur place à la marge. Ils savent également que personne n’envie
leur choix et que, de fait, ils seront toujours amenés à se
justifier.
« On en revient à un système qui blâme tout être inutile à
la communauté. »
Pas
d’effet de manche : le style et le vocabulaire sont simples,
d’une sobriété qui claque. Chez Murata, la critique sociétale
prend la forme d’un récit à la première personne d’une
honnêteté désarmante.
Le
lecteur s’amuse des saillances de la société japonaise, une
société qui — je suis la première à ressasser le cliché —
enfonce avec un marteau le clou qui dépasse. Il s’interrogera
rapidement sur l’universalité d’une problématique
contemporaine. L’air de rien, Konbini reste en tête…
comme un standard pop.
Konbini de Sayaka Murata, Denoël
Traduction du japonais de Mathilde Tamae-Bouhon
Traduction du japonais de Mathilde Tamae-Bouhon
128 pages
Paru en janvier 2018
Paru en janvier 2018