lundi 11 juin 2018

Chronique de livre // Konbini de Sayaka Murata : raconte-moi ta supérette, je te dirai qui tu es


“Pourquoi devrais-je quitter la supérette et chercher un poste ordinaire ? Cela me dépassait. Après tout, sortie de mon manuel de l’employé dont j’appliquais à la perfection les directives, je n’avais pas la moindre idée de la façon dont fonctionnait une personne normale.”

Couverture du roman Konbini de Sakuya Murata
Couverture de Konbini de Sayaka Murata


Un instantané de la société japonaise au travers du quotidien d’une supérette, voilà ce que nous propose Sayaka Murata. Son Konbini est un roman pop dans le sens le plus noble du terme : léger dans la forme, il ne se dispense pas d’apporter du fond. La problématique pourrait se résumer en une question tirée du roman : “Il a déjà 35 ans. Il serait temps pour lui d’arrêter les petits boulots, non ?”



Le terme Konbini est la contraction japonaise des termes anglais convenience store, le magasin de proximité. Présent à chaque coin de rue à Tokyo, on y trouve de tout : des produits d’hygiène aux boissons alcoolisées, en passant par les plats préparés et les magazines. On y fait ses photocopies et l’on y paye ses factures. S’il fallait comparer le konbini avec son équivalent français, je dirais que le premier est lumineux, propre, bien achalandé et abordable. Au-delà de son aspect pratique, le konbini constitue un repère, parfois même un repaire.



Murata connaît son sujet : il est d’ailleurs dit que malgré la réception du prix Akutagawa (l'équivalent du Goncourt), elle continue de travailler à temps partiel dans une de ces supérettes. L’auteure brosse le fonctionnement de cet organisme au rythme établi. Elle détaille les habitudes de consommation de ses contemporains et décrit jusqu’au bruit de la canette qui se déplace le long du rail frigorifique en remplacement de celle qui vient d’être vendue. L’auteur évoque avec tendresse ce spectacle immuable, le chant du konbini.



Marquée par un trouble du spectre autistique, Keiko Furukura, l’héroïne du roman, joue l’humain ; son personnage apprend par imitation. En s’alimentant exclusivement de produits du konbini, elle revendique son appartenance à cet organisme. La jeune femme et son alter ego masculin ont conscience d’avoir trouvé leur place à la marge. Ils savent également que personne n’envie leur choix et que, de fait, ils seront toujours amenés à se justifier.



« On en revient à un système qui blâme tout être inutile à la communauté. »



Pas d’effet de manche : le style et le vocabulaire sont simples, d’une sobriété qui claque. Chez Murata, la critique sociétale prend la forme d’un récit à la première personne d’une honnêteté désarmante.



Le lecteur s’amuse des saillances de la société japonaise, une société qui — je suis la première à ressasser le cliché — enfonce avec un marteau le clou qui dépasse. Il s’interrogera rapidement sur l’universalité d’une problématique contemporaine. L’air de rien, Konbini reste en tête… comme un standard pop.

Konbini de Sayaka Murata, Denoël
Traduction du japonais de Mathilde Tamae-Bouhon
128 pages
Paru en janvier 2018