Lors de mon premier passage à Tokyo,
j’ai mangé des sushis, photographié la foule traversant le passage piéton de
Shibuya et j’ai ri des voix haut-perchées que prennent certaines Japonaises dans
le but de paraître kawaii mais je
suis passée à côté des love hotels (rabu hoteru en V.O.). A défaut, — et j’aurais dû comprendre
à ce moment-là que mon couple bâtait de l’aile —, j’ai passé la nuit dans un cyber café.
Mais maintenant je le sais, c’était
bête de ma part.
Hotel Sting (Asakusa) |
J’ai donc l’intention de combler mes lacunes. Le problème est que je suis revenue seule. Il me faut donc trouver un +1 sur place, si possible du sexe opposé car ce genre d'établissements peut parfois refuser l'accès à ses chambres aux couples de même sexe. Qui plus est, être gaijin n’est pas non plus un facilitateur, la possibilité de communiquer en anglais sur place étant loin d’être garantie mais il faut savoir prendre des risques.
Mon choix se porte sur A., peut-être
parce que la première fois que j’ai l’ai vu, je me suis exclamée : « Waaah,
on dirait Mark Owen des Take That ! ». Lancer une recherche Google Images Mark
Owen pourrait vous rendre mon récit
vraiment vivant si, à la lumière des jours qui ont suivi, je n’avais pas
réalisé que A. ne ressemble pas à Mark Owen. Mais A. aime beaucoup la grammaire
et corrige sans cesse mon anglais ; les voies des phéromones sont
impénétrables.
Pas trop difficile à convaincre, mon nouvel
ami et moi prenons rendez-vous pour aller nous balader sur la colline
des love hotels située dans le quartier de Shibuya. Les
love hotels, c’est un peu comme les
distributeurs automatiques ou les konbinis,
il y en a partout. La ville en compterait plusieurs milliers. Mais comme chacun
d’entre eux est supposé avoir un univers propre, autant opter pour celui qui correspond
le mieux à son humeur : univers carcéral, château de princesse ou esprit de
Noël, il faut choisir… tout en gardant à l’esprit que les chambres originales
sont souvent prises d’assaut et sont pour la plupart hors budget (Il faudra
compter un peu plus de 90€ pour quelques heures de repos sur la fausse
terrasse de la kitchissime chambre 704 de l’hôtel Emperor dans le quartier de
Meguro). Pas de regret : la chambre Hello Kitty SM vue dans tous les sujets
consacrés aux love hotels était
située dans un hôtel qui est maintenant fermé.
Colline des love hotels, Dôgenzaka (Shibuya) |
Nous voilà donc sur la colline Dôgenzaka à Shibuya. Première
déception : la fameuse colline est bien moins amusante à visiter que ce que je
m’imaginais. Je pensais me retrouver au Disneyland du stupre mais je retrouve à
arpenter les rues de ce qui ressemble à un village européen. Ces villages un
peu mort mais pas tout à fait, un peu tristes aussi. Où sont les néons
multicolores ? Les bâtiments baroques et futuristes ? Les couples goguenards ?
Mis à part une ou deux exceptions, les
bâtiments sont pour la plupart bas, gris et vieillots. Pas dénué d’un certain
charme mais pas vraiment ce que j’attentais. Nous sommes en semaine, il est
15h, une heure que je croyais idéale pour croiser sinon des nippons illégitimes
du moins des touristes lestés de leur sac à dos. Personne.
Pour la plupart, les love hotels ne sont pas vraiment extravagants.
Nous entrons dans quelques-uns pour nous faire une idée de l’offre. Les chambres
y sont souvent sans grand intérêt. Et même si les noms des établissements peuvent
paraître exotiques : Casa Nova, Sulata, Carribean, la mise en scène est souvent
inexistante, même si un certain kitsch utilisé sans discernement est presque
toujours de mise.
Les love
hotel sont donc souvent... des hôtels. A défaut d’un coup de cœur et après
avoir réalisé que ça ne serait pas forcément dans le plus impressionnant que
nous trouverons le meilleur rapport/qualité prix — et parce que nous n’avons pas non plus
prévu de passer le reste de l’après-midi à arpenter le quartier —, nous jetons notre
dévolu sur le Ten-Un. Sa devanture est verte, un peu laide et
il n’a pas de thématique particulière. A ce moment du récit, la thématique de
notre de chambre a fini par devenir… accessoire. Nous choisissons donc
presque au hasard parmi celles présentées comme disponibles sur le panneau
lumineux à l’entrée.
Hotels Casa Nova et Ten-Un (Shibuya) |
Située au sous-sol, toute de velours et
de fioritures, elle semble plus petite que sur la photo, ce qui n’est pas sans
me donner la sensation de pénétrer dans un cercueil. La porte métallique se referme
sur nous. Une borne de paiement féminine se met à nous parler. Son ton est
enjoué mais ferme et le fait que son discours tourne en boucle pendant que nous
tentons de comprendre ce qui se passe rend le moment quelque peu angoissant. Elle
nous demande de la payer. Les choses pourraient être simples mais il y a
beaucoup de touches correspondant à des signes que nous ne comprenons pas.
Cerise sur le gâteau, nous réalisons que nous n’avons pas assez d’espèces et
que nos cartes de paiement ne passent pas.
La porte est verrouillée. Nous sommes à
l’intérieur du cercueil avec une centrale de paiement qui récite avec énergie
des choses que nous ne comprenons pas. Je ris mais j’imagine que si j’avais bu,
je pourrais aussi bien pleurer. A. finit par appeler la réception et, de son
japonais balbutiant, explique que nous sommes enfermés sans pouvoir régler la
chambre. Visiblement agacée, la personne à l’accueil vient nous libérer. Piteux,
nous revenons sur nos pas pour retirer les 4500 yens (soit à peine 32 euros) demandés
pour occuper la chambre entre 14h et 20h.
De retour dans le cercueil moelleux après
avoir adressé un sourire désolé à la guichetière et être parvenus à faire taire
la centrale de paiement, nous pouvons enfin explorer les lieux : un lit,
une banquette, une bouilloire, du thé, une salle de bain et ses toilettes,
brosses à dents, brosses à cheveux... bref, le contenu d'une chambre d'hôtel.
Seuls les deux préservatifs déposés dans un panier en osier près du lit laissent
à penser que la destination ultime du lieu n’est pas le repos (éternel). Mais s’il
est supposé garantir un certain anonymat, l’endroit n’est pas
exceptionnellement bien insonorisé.
Les quatre heures qui ont suivi nous
appartiennent. Elles n’ont d’ailleurs fait que confirmer l’hypothèse selon
laquelle la thématique du lieu n’a qu’une influence limitée sur ce qui se passe
entre ses murs. Par contre, prémices à un moment léger, les déambulations à la
recherche de l’hôtel et de LA chambre — souvent sans intérêt autre que celui
de pouvoir en salir les draps — sont un excellent aphrodisiaque. Il
suffit qu’elle soit juste un peu plus kitsch que le lit conjugal. Et, faites
confiance aux Japonais, elle le sera. Parce que maintenant, et comme rarement, vous
êtes in the mood for love.
Et parce que les
perversions sexuelles nippones ne connaissent pas de limite, les plus débridés commanderont des chips, des nouilles
instantanées et regarderont un porno avec mosaïque de censure.
Cet article est d'abord paru sur le site de Gonzaï le 21 juin 2014.