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mardi 6 janvier 2015

L'enfer, c'est les soldes.

Revenue de France le 1er janvier, j'ai raté la traditionnelle première visite au temple (hatsumoude) mais pas le premier jour des soldes (le lendemain). 

Vendeuse du 109 (Shibuya)
Mais parce que j'ai beaucoup d'affaires et peu de revenus, les soldes, ça ne me touche pas vraiment. Et puis les friperies japonaises tiennent du paradis — Comprenez : il n'y flotte pas cette odeur de mort caractéristique des magasins français du même type. Donc les soldes, je n'avais pas de raison d'en parler.

C'était avant d'avoir expérimenté la chose à Shibuya, lorsque sur l'escalator me menant au troisième étage du PARCO PART3, l'un des nombreux centres commerciaux du quartier, j'ai entendu des cris de mouettes.

Vendeuse du 109 (Shibuya)
Les mouettes juchées sur des escabeaux, mégaphones de fortune à la main s'exercent à un concours de cris aigus supposés attirer la chalande. Je ne suis pas en mesure d'essayer de comprendre ce qu'elles disent. Mon cœur bat trop vite, je suis stressée. Apnée de rigueur. Après des recherches qui me paraissent sans fin, je finis par mettre la main sur les bouchons d'oreilles supposés me servir en cas de concert. Les battements de mon cœur se ralentissent, je peux enfin regarder ce qui se passe autour de moi.

109 (Shibuya)
Dans l'escalier reliant les deux étages, une file de jeunes femmes attend probablement depuis plusieurs heures de pénétrer dans un magasin. De mon œil inexpert, je ne vois pas ce qui distingue la boutique de celles qui l'entourent mais des scènes similaires se produisent au 109, l'antre des jeunes filles romantiques et autres kogaru, où je me rends le lendemain.

109 (Shibuya)
L'achat compulsif est poussé à son paroxysme avec le fukubukuro, ces pochettes surprises dans lesquelles est dispersé le stock des invendus. Le concept permet au client de faire de bonnes affaires, dans la mesure où ce dernier est prêt à acheter n'importe quoi. Ce qui est souvent le cas. Certains font la queue pendant plusieurs heures dans le froid, notamment devant les boutiques Apple comme cette personne citée sur le site de rocketnews24 qui a fait la queue 42h sous la neige et postait le message suivant sur Twitter :

Bonne Année ! J'ai accueilli la nouvelle année devant l'Apple Store de Sapporo. Ce 1er janvier à 5h05, la température est de -4,5ºC [23.9ºF], mais il y a déjà 11 personnes qui font la queue.

Ces sacs de la chance sont une institution nationale qui se décline jusque chez Starbucks et chez les magasins vendant des glaces. Il s'avère néanmoins souvent possible de jeter un œil à l'intérieur du sac (si le contenu n'est pas détaillé sur un petit présentoir). Internet se fait un devoir de révéler le contenu des derniers.

Alors oui, le Japonais a tendance à surconsommer. Il n'est pas le seul mais ici plus qu'ailleurs, il faut trouver des échappatoires à une vie souvent un peu trop bien cadrée. Work hard, play hard comme disent les gens que je ne suis pas. A Tokyo, on travaille dur et parce que jouer dur, ça pique, on achète, beaucoup. Et souvent n'importe quoi. Tant que le produit est convoité par les autres. C'est ainsi que certains quadragénaires achètent des jeux à collectionner destinés aux enfants, tels que ceux de la franchise Yōkai Watch au motif presque assumé que ces jouets, victimes de leur popularité, ont été plusieurs mois en rupture de stock. Créer des besoins à défaut de parvenir à en combler d'autres plus élémentaires... Vous ai-je montré mon porte-clefs chat-sushi ?

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

jeudi 4 décembre 2014

Apprendre l'anatomie au Japon : 30 ans, presque toutes mes dents.

Événement majeur de la semaine, j'ai reçu un courrier. A mon nom. Quand on est dans un pays qui n'est pas le sien et dont on parle la langue avec l'aisance d'un enfant de trois ans, recevoir une lettre, c'est un peu spécial. Ça donne l'impression d'être à sa place, intégré. Ne pas être en mesure de la lire, par contre, rappelle que cette place est peut-être au fond d'un cagibi sombre.

J'ai donc dans les mains une lettre officielle, avec des dessins : des dents qui sourient, des dents perplexes et une dent qui donnent l'impression qu'elle va vomir. La dent nauséeuse, en fait, elle tremble.

ぐらぐら, gura gura, c'est le cri de la dent japonaise qui tremble.

Même si les dessins me donnent une idée du contenu, il y a beaucoup trop de caractères pour que je tente un déchiffrage. Natsumi, mon élève et professeur de japonais que je retrouve un peu plus tard me donne l'idée générale. Comme je vais avoir 30 ans et que je suis résidente de Taitō-Ku, l'arrondissement qui me rajeunit de quelques mois m'offre un examen dentaire. A Taitō, ils savent comment faire plaisir. Et toujours selon la lettre, j'aurai droit au même cadeau à 35, 55, 60, 65 et à 70 ans. Mystère-dentaire : à 75 ans, serai-je morte ou édentée ?

En annexe, une liste de noms et d'adresses que je ne peux pas lire. Heureusement un petit English speaking dentist Asakusa sur Google plus tard, je finis par trouver le cabinet où il sera possible de me faire examiner et de comprendre ce que le dentiste aura à me dire. Pour finir de réduire l'aventure à zéro, Google Map m'indique que nous sommes à sept minutes l'un de l'autre.

Ce lundi matin, j'arrive peu après l'ouverture du cabinet. Je retire mes chaussures et adresse mon meilleur sourire embêté à la secrétaire en lui demandant en japonais si elle parle anglais. Comme elle cherche du regard ses collègues, je lui tends ma lettre. Le soulagement est perceptible sous son masque chirurgical. Suis-je libre aujourd'hui-maintenant ? 

Celui que j'identifie comme le maître des lieux, chevelure de jais et bras couverts de longs poils blancs, vient m'expliquer qu'ils peuvent m'examiner mais pas me soigner. Je suis désœuvrée et je n'ai pas prévu d'avoir de carie. Parfait.

Je ne sais pas quoi penser du fait que la moitié de la population en âge d'avoir les cheveux blancs a une chevelure noir de jais. J'admire la poignée qui passe au violet ou à l'orange. Le plus intriguant, c'est que se sont rarement les plus ridicules. Ne sous-estimez pas la puissance de la septuagénaire à la chevelure bleu nuit et à l'air pincé.

La secrétaire m'invite à patienter derrière le mur en carton-pâte qui sépare une banquette d'attente du reste du cabinet. Après m'avoir rendu mes documents, elle finit par m'apporter la paire de chaussons que j'aurais dû moi-même tirer d'une machine bruyante et lumineuse. La technologie jusque de la distribution de mules, une utilité merveilleusement douteuse. J'ai du mal à cacher mon admiration.

J'ai à peine le temps de constater que je suis cernée de dents qui sourient que je suis invitée à rejoindre le fauteuil d'examen. Sur mon bavoir, encore des dents qui sourient.

Comme je lui confirme que mon niveau de japonais est minable, le dentiste s'applique à me traduire son questionnaire. L'exercice est douloureux et je suis désolée de lui infliger ça. Je tente un gambatte kudasai (Faites de votre mieux, s'il vous plaît) qui ne le fait pas rire.

Est-ce que je sais que fumer peut entraîner des problèmes parodontaux ? Est-ce que je suis diabétique ? Est-ce que je sais que le diabète peut entraîner des problèmes parodontaux ?

Non, mais maintenant je sais.

Il réfléchit une seconde à ma réponse et me remercie. Il semble amusé par mon usage hebdomadaire du fil dentaire. De même que le principe de fumer quand j'ai bu le laisse perplexe.
 
Combien est-ce que j'ai de dents ? 

Hummm... je les ai toutes sauf mes dents de sagesse. Mais lui donner un nombre...pfff...

La perplexité grandit.

Bon, je sais que c'est un nombre pair et qu'il y en a beaucoup. Je tente donc un nombre au hasard. 36.

Il se contient. Ça se voit, il se contient. Il dessine dans l'air un 3 et un 6. Je me concentre pour produire un sanjuuroku de confirmation. Flegmatique mais visiblement content de l'anecdote qu'il va raconter à ses collègues, il finit par dire :

"— Normalement, normalement, sans les dents du fond, on a 28 dents.

Ah... 28, hein ? 
 
—  Oui, retenez-ça."

Quelques minutes plus tard, il redresse le fauteuil et dit quelque chose en japonais que je ne comprends pas. Son ton est tranquille et il y a une négation à la fin.

Tout va bien ?

Il reformule : oui, tout va bien. Reste que vingt minutes après être arrivée, je dois digérer le fait que je n'ai que 28 dents. Je sais par contre que chacune d'entre elles sourit et c'est une bonne chose.

Il me quitte sur un prenez soin de vous, qu'il est obligé de me traduire parce que c'est la première fois que j'entends l'expression. Et comme je ne sais pas quelle est la réponse adéquate, je le salue en retour d'un sobre arigatou. Mes chaussons remis dans la machine, je quitte le cabinet sans avoir rien eu à payer. 

Tout pourrait être pour le mieux si en cherchant un dermatologue, je n'avais appris que dans le cadre d'une visite sans rendez-vous dans l'une des cliniques gaijin friendly de Tokyo, le praticien ne pourra examiner que deux grains de beauté à la fois. Cerise sur le wagashi, l'examen me coûtera 21 600¥ (soit environ 146€) et n'est pas pris en charge par la sécurité sociale.

Des dents branlantes mais pas de cancer de la peau. Heureux Japonais.

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

vendredi 3 octobre 2014

Récit : 12 heures à (éviter) Ginza

Une marque japonaise portée par une aspiration au raffinement et un manque certain d'imagination verra son nom composé d'un Ginza accolé à sa spécialité indiquée en français. Parce que le quartier a été temple du luxe et que Ginza Gâteau, c'est chic.

Aujourd’hui, les enseignes inabordables partagent l’espace avec H&M, Uniqlo et consorts. Ginza, c'est donc l'équivalent de nos Champs Élysées — et il ne me serait jamais venu à l’idée de passer 12 heures sur les Champs Élysées. Une infinité de boutiques inaccessibles au commun des mortels et une dizaine de depatō (grands magasins) agencés dans une architecture à la qui aura la plus grosse et la plus tordue. La compétition est acharnée et elle me laisse de marbre. Pourtant, si je veux parler des principaux quartiers de Tokyo, n'importe quel guide me le rappellera : je n'ai pas le droit de faire l'impasse.

Il est 5h50 quand je me lève. Déjà trop tard pour espérer visiter les fameuses enchères de thon du quartier de Tsukiji, voisin de Ginza. Ce sera pour une autre fois, une fois où je ne prévois pas de passer 12 heures à piétiner.

7h10, j’arrive à Tsukiji. Le ciel est clair, la rue est vide, la ville m'appartient. Mon excitation est rapidement tempérée par un Français tapant dans ses mains en criant à ses camarades : allez, on y va ! Avec un enthousiasme modéré, le petit groupe se met en marche dans le sens opposé au mien. Je réalise que je ne sais pas vraiment où je vais mais croiser un nouveau groupe, appareil photo en bandoulière et regard dans le vague, me rassure. 

7h30, j'arrive devant ce que j'imagine être l'entrée principale du marché. Quelques panneaux d'interdiction. Du texte en anglais, sobre : 

 A drunk no drunk

Je ricane.

J'avais questionné Nobu, un de mes élèves, sur la hiérarchie qui peut exister entre les métiers liés au commerce de la viande (généralement réservés à la caste des Burakumin) et ceux liés à celui du poisson. Il apparaissait que le problème avec la viande, c'est tout ce sang. Reste l'exception du bœuf de Kobe, massé au sake et bercé de musique classique. Pouvant atteindre les 300€/le kilo, selon Nobu, il est peu probable que les Burakumin gèrent le business.  Mais travailler dans le poisson reste moins dégradant. Après tout, le Japon est un archipel. Marginaliser les personnes vivant de ce commerce reviendrait à bannir une partie plus que conséquente de la population.

Au distributeur de boissons instantanées, j'opte pour l'un des deux thés verts. Il est surement meilleur que l'autre parce qu'il y a un oiseau et des fleurs dessinés sur l'image associée. Je me retrouve avec une boisson à la prune, chaude et salée. Comme cette chose n'a de raison d'exister que si elle me fait gagner quelques heures d'espérance de vie, je finis mon gobelet. Cul sec.



Devant moi, des entrepôts, morts.

A 7h52, ça se confirme : je suis dans un film de zombies. Mais il fait beau et la température est douce, alors pourquoi pas ? Je ne croise que quelques personnes qui ne me prêtent aucune attention. L'aspect touristique de l'endroit n'est pas évident. Par contre, le fait de déambuler parmi ces entrepôts fantôme est assez extraordinaire. Je furette au milieu de ce que j'imagine être l'espace réservé aux enchères. Tsukiji se montre nettement plus amusant que ce que j'en attendais.


9h20, un carton m'indique qu'aujourd'hui le marché est fermé. Ainsi donc, ami touriste, si tu as fantaisie d'assister aux enchères de Tsukiji, jette d'abord un œil à ton calendrier. Parce que même au Japon, tu trouveras des je-m’en-foutistes qui profitent du dimanche pour déserter leur lieu de travail.

9h40, en chemin vers Ginza, je tombe sur le marché du quartier. Les touristes s'y bousculent, soit pour se gaver d'échantillons de micro-sardines grillées, soit pour se photographier en train de gober des huîtres de la taille d'un steak.  

Quelques bancs et distributeurs de boissons circonscrivent un espace désigné comme lounge. Je n'ai qu'une très vague idée de ce que le mot peut signifier mais je découvre qu'une sexagénaire y a pour fonction pour corriger les erreurs de tri de touristes perdus entre déchets combustibles et incombustibles. Je lui demande si je peux la prendre en photo. Son regard perplexe me dit que la combinaison de mots sortis de ma bouche n'a pas de sens. J'insiste, je veux la prendre en photo, elle. Elle finit par décliner poliment. Je réalise que je ne vois pas quelle bonne raison elle aurait eu d'accepter. Je me fends d'une courbette, m'excuse et repars.

10h25, je passe devant le musée du pachinko, c'est du moins ce qu'en dit la devanture. Il y serait possible d'expérimenter le vrai Japon. Le vrai Japon est donc celui des jeux d'argent hypnotisants et assourdissants. 

Il s'agit en fait d'un pachinko classique, plutôt vide. Une jeune femme s'approche de moi et me demande en anglais si je veux jouer.  L'espace est suffisamment bruyant pour qu'elle ait pu me dire, au choix : Do you want to play? ou Do you want to pay? Quelle que soit la question, non, je n'en n'ai pas envie. Je repars. Ni plus riche, ni plus pauvre. Il est par contre probable que j’ai perdu quelques points sur mon audiogramme.

10h30, je fais partie des premiers clients à pénétrer le très chic depatō Mitsukoshi. Même s'il est évident à notre pas décidé, qu’une bonne partie d’entre nous se dirige vers les toilettes, les vendeuses tirées à quatre épingles s'inclinent très respectueusement, par vagues, sur notre passage. Il serait tentant de leur expliquer que je viens juste assouvir des besoins plus primaires encore que des achats compulsifs, parce que je n’aime pas les toilettes à la turque que je risque de trouver dans le métro, qu'en plus il y aura la queue et qu'enfin s'il me vient à l'idée d'acheter du maquillage, ce sera plutôt chez Don Quijote, pour un prix quatre fois inférieur à ce qu'elles peuvent me proposer. Mais l’idée s'avère trop complexe pour mon japonais sommaire et elles sont très nombreuses. Je me contente donc de poursuivre ma route en fixant mes chaussures, la bouche tordue par un sourire pincé.

Il est 11h15 quand je retrouve Kazuya pour notre cours de français. Comme il est parfaitement bilingue, nous passons toujours une partie de l'heure à discuter des différences culturelles entre la France et le Japon. Aujourd'hui, nous  parlons des nomikai (les beuveries entre collègues) et de la nécessité pour les salarymen de maîtriser leur discours même lorsqu'ils sont ivres. J'évoque également l'impossibilité pour le gaijin d'être complètement intégré à la société japonaise, même après plusieurs décennies sur place. Kazuya est jeune, polyglotte et a vécu à l'étranger mais il n'en n'est pas plus ému que  ça. Il ne cherche même pas à me contredire. C'est une île, les mentalités sont... insulaires. 

13h14, je prends place sur l'un des dix sièges d'un bouiboui encastré sous les rails de la ligne JR. Les trois cuisiniers s'activent face à nous. Ma soupe de soba aux algues est simple mais, sans surprise, très bonne. Le moment pourrait être parfait si, en réponse à mon gochiso sama deshita ! (c'était un délice !) plein d'entrain, je n'avais reçu qu'un oui, oui blasé.


Il est 14h26 quand je réalise que je n'ai pas la moindre idée de comment occuper les cinq heures à venir. Ma seule option semble être d'errer d'un centre commercial à l'autre. La perspective m'angoisse un peu. 

Parce qu'il est possible d'y boire un café glacé et de recharger mon portable en écoutant There is a light that never goes out des Smiths  le tout pour 100¥, soit 0,72€ —,  je vais réfléchir à mon futur immédiat au MacDonald´s.

Je branche mon téléphone et vais passer commande en laissant mes affaires sur la table. Désireuse d'apporter un tournant dramatique à mon récit, j'étale mes affaires avec soin : sac, portable, appareil photo et porte-feuille. Pour voir. A mon retour, rien n'a bougé. Les rebondissements attendront. Mieux que légendaire, la sécurité du Japon est une réalité addictive.

Je repars le cœur léger, sans plus d'idées sur comment occuper les heures à venir... mais je suis à Yūrakuchō et l'ambiance me paraît infiniment plus douce qu'à Ginza même. Jsuis en robe, il fait beau et les gens mangent des glaces. 

16h20, j'essaye de détourner ma trajectoire mais ça ne marche pas. je me fais alpaguer par une équipe de l'émission Tokoro-san no Nippon no Deban! qui sera diffusée sur TBS courant octobre. L'interprète est un peu choquée que je ne sache pas qui est ce brave Monsieur Tokoro. Pour me mettre dans sa poche, elle me dit que je présente bien et que j'ai le style d'une Japonaise. Il ne m'en faut pas plus. Elle me demande ce qui m'a agréablement surprise à mon arrivée au Japon. Prise au dépourvu, je ne sais pas quoi répondre, je finis par leur parler des love hotels, du Don Quijote, du franponais et des kogaru. Je sens que ça ne fait pas leur affaire. Finalement, ils veulent me faire parler des automates permettant de commander dans certains izakaya. Je me prête volontiers au jeu. Je préfère raconter moi-même des conneries plutôt qu'ils se chargent d'un doublage douteux. Pour rendre le récit plus séduisant, je dois dire que je ne savais pas comment utiliser ces merveilles technologiques mais qu'heureusement mon ami Japonais — imaginaire — m'a aidée, que d'ailleurs la nourriture et les boissons étaient fantastiques et que ii ne ! — Pouce en l'air (et sourire forcé).

  
Ils sont contents et ma nouvelle amie me félicite pour mes talents d'actrice. Je les prends en photo, on se fait des courbettes d'adieu et le producteur me file son mail pour que je lui envoie des photos de cette soirée qui n'a jamais eu lieu. 

Perturbée par cette demande, je me perds. J'atterris dans le quartier de Shimbashi. Plus je déambule, moins les dimensions de Tokyo me paraissent impressionnantes. Il est 16h45, le soleil est déjà bas. Je reviens sur mes pas. En traversant au feu rouge, je réalise que je me mords la lèvre et que je baisse les yeux pour montrer aux piétons me faisant face que, même si je suis une gaijin mal éduquée, je m'en veux un peu... ce qui doit fort probablement renforcer leur envie de me coller une baffe. Par chance, ils sont bien trop polis pour ça.

En étant parvenue jusque-là à éviter l'étape shopping, je finis tout de même par me faire happer par le gigantesque complexe Loft/Muji de Yōrakuchō. Un homme d'une trentaine d'années est en charge de dire bienvenue et merci et au revoir à tous ceux qui passent la porte. Sur une minute, je compte neuf arigatou gosaimashita et environ le double d'irasshaimase, ce qui nous fait une salutation — de six syllabes ou plus — toutes les deux secondes. Soit autour de 1800 salutations par heure. Je pourrais calculer la même chose pour une journée  mais je ne connais ni les horaires ni le détail de l'emploi du temps de ce monsieur. Quoi qu'il en soit, il m'est difficile de ne pas être impressionnée — et compatissante.
 
Muji Yōrakuchō

Arrivée à l'étage, je sens le sol vibrer avec intensité. J'ouvre de grands yeux inquiets : est-ce un tremblement de terre ou la proximité de la ligne JR ? Le reste de la clientèle ne daigne même pas lever le nez : proximité de la ligne JR.

17h45, assise sur le banc devant Muji, je mange les guimauves fourrées à la crème de marron que je viens d'acheter. Un air de cornemuse en fond sonore pour plus d'exotisme, le moment est parfait. Mon avis ne semble pas partagé par les clients qui me jettent des regards pleins d'une incompréhension mâtinée de pitié.


18h08, mes guimauves finies, je quitte le complexe. Dehors, il fait complètement nuit. Les enseignes lumineuses brillent et les grillons craquettent. Je traîne encore un moment sans but au milieu d'une foule compacte puis repars, réconciliée avec un quartier que j'avais un peu trop vite condamné. Alors oui, Ginza a un côté grande coquille vide mais il suffit de marcher quelques minutes pour tomber sur Tsukiji, Yōrakuchō, Shimbashi ou Marunouchi. Et c'est ce qu'il y a de mieux dans ce quartier : ses voisins.


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dimanche 28 septembre 2014

Le Japonais est-il mauvais en société ?

« Inventer le Japon est un moyen comme un autre de le connaître. Une fois dépassées les idées reçues, une fois contournée l’idée reçue de prendre le contre-pied des idées reçues, mathématiquement, les chances sont les mêmes pour tous et que de temps gagné. Se fier aux apparences, confondre sciemment le décor avec la pièce, ne jamais se fier aux apparences, confondre sciemment le décor avec la pièce, ne jamais s’inquiéter de comprendre, être là dasein  — et tout vous sera donné par surcroît. Enfin un peu… » Chris Marker1

Une des choses rapidement perturbantes ici, c'est ce flottement entre le poids d’une solitude bien réelle et le souci, fait priorité, de garantir l'harmonie du groupe.  

Le Nippon ne reçoit pas chez lui et, par souci de faire primer le tatemae (le consensus de façade) sur l'honne (les véritables opinions et désirs)2, limite la plupart du temps sa conversation à des sujets balisés. Ai-je pour autant le droit de proférer qu’il est moins bon en relations interpersonnelles que le ressortissant d'un autre pays ? Tentant mais facile, trop. Puisqu'il faut faire avec le cliché, je dois au moins essayer de le détricoter.

Si sabishii (solitaire, isolé) est l'un des premiers adjectifs que les  méthodes de japonais jugent utiles d'enseigner, je connais peu de mégapoles dont on vante la convivialité. La grande ville est synonyme d’anonymat, il n'y a rien de très japonais là-dedans. Par contre, l’une des spécificités du pays du Soleil-Levant est que, qu'il s'agisse de solitude ou de n'importe quoi d'autre, les solutions  — parfois effrayantes à les regarder d'un œil occidental abondent. L’isolement y est donc un peu plus mis en scène qu'ailleurs, notamment par le développement d’une offre de services visant à le tromper : déclinaison sans fin de cafés-concepts étranges, location d'amis, relations virtuelles de toutes sortes, etc.

On invite l'otaku à la simulation de relations sentimentales sur Nintendo DS3, et lorsqu'il évoque le fait que ces liens virtuels le dispense de chercher un(e) partenaire en trois dimensions, la boucle est bouclée. Il en va de même pour les office lady préférant la compagnie de jeunes hôtes aussi maquillés qu’inoffensifs à une relation qu'elles craignent trop contraignante. Plus surprenant encore, j'ai pu constater que si les sans abris de mon quartier se connaissent tous, ce n'est pas pour autant qu'ils vont traîner ensemble. Tout au plus se saluent-ils en se retrouvant le matin au Macdonald's. Ils s'assoient ensuite chacun à leur table puis passent le reste de la journée à vivre en parallèle les uns des autres. Au Japon, la solitude est mieux qu’acceptable, elle est choisie et revendiquée.

Moi-même, il est possible que je m'y retrouve. Depuis mon arrivée, je n'ai plus aucun problème à aller seule au restaurant. Jusque-là, l'idée m'aurait parue idiote mais le restaurant japonais est pensé pour les gens seuls : on y mange alignés, face au cuisinier ou à la fenêtre. Faire la conversation n'est pas requis et je réalise à quel point c'est appréciable même si mon éducation m'a appris que le repas est un moment d'échange — peu importe, à la limite, le contenu de l'assiette.

Alors le Français est-il meilleur en société ? La question me paraît d'autant plus difficile qu'étant ici sans attache, je rêve parfois de devenir ermite urbaine. Le concept reste à préciser mais il me semble qu'observer les gens en limitant mes interactions avec eux au minimum pourrait très bien me rendre heureuse. Si l'être humain est un animal social, les soirées avec mes semblables m'embrument. Et les lendemains sont pénibles. Plus japonaise qu'un Japonais, je deviens une asociale qui ne tient pas l'alcool.

Peut-être faut-il alors revoir le prisme au travers duquel je considère cette maladresse. La différence majeure entre les sociétés française et japonaise est que la première repose sur la recherche de l'épanouissement individuel tandis que la seconde a pour objectif la préservation de l'équilibre du groupe. De fait, ce que j'analyse comme une faiblesse sera perçu en terre nippone comme une vertu. Il est d'ailleurs assez ironique que la société où la recherche de la convivialité est la plus forte est aussi la plus individualiste. 

Et parce que le paradoxe est de rigueur, le Japon est aussi la patrie du karaoke. Et je ne connais que peu d’expériences plus intimes que de chanter faux, en cœur, un Call Me Maybe ou un Baby, One More Time. De plus, Tokyo compte un nombre incalculable de restaurants, de bars et d’izakaya ne pouvant accueillir plus d'une dizaine de personnes. On y est saisi par l'impression improbable dans une ville de cette dimension que ce sont les proches du patron qui font tourner son commerce. Et si les réunions nocturnes des salarymen relèvent la plupart du temps de l'obligation de ne pas décevoir leur supérieur, elles se font consciencieuses beuveries, amenant une clientèle devenue étrangement joviale à repartir en titubant — plus ou moins joyeusement selon le degré d’alcoolisation de chacun. 

Finalement, la vraie question est celle de la corrélation entre l'harmonie de la société nippone et l'isolement d'une partie de ses membres. Je ne suis pas certaine que mon nouveau et bref statut d'ermite tokyoïte me suffira à en saisir toute la complexité. がんばります4

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1Chris Marker, Le dépays, Editions Herscher, 1982 cité dans Le Goût de Tokyo, textes choisi et présentés par Michaël Ferrier, Mercure de France, collection Le Petit Mercure p.118., 2008

Always in love… 365days
Feel this love every day and night
You can see the endless lovestory.. LOVEPLUS”


4Ganbarimasu ! (頑張ります), en français : « Je vais faire de mon mieux ! »