Arrivé à Tokyo, il est difficile de rester de marbre face à la
frénésie technologique ambiante. Véritable Mecque digitale pour tout
geek déconnecté de la réalité, le quartier d’Akihabara est la pour les
amoureux d’hologrammes et de J-Pop. Et c’est aussi là-bas que j’ai tenté
de passer une nuit dans une box-internet.
Le geek tokyoïte, on le croise errant dans les SEGA Centers où il
exerce sa dextérité sur des jeux d’arcade avant de tenter de gagner une
figurine d’écolière à gros seins et petite culotte blanche sur une
machine à pince. Quand il a gagné trop de peluches, il en apporte
quelques unes en offrande à l’une des serveuses/soubrettes du @Home Café
qui, en échange d’une petite contre-partie financière, l’appellera maître pendant qu’ils joueront à Hippo Gloutons.
Parce qu’ici le concept de vie sociale est en cours de reconfiguration, l’offre des pourvoyeurs de vie-rtualité l’est aussi. Pour 3580 yens, soit environ 35 euros, on peut profiter pendant 12 heures d’un box-internet dont la superficie équivaut à celle d’un tatami (1,6562 m²), fumeur ou non. A l’intérieur : ordinateur, lecteur DVD, casque et un espace pour s’allonger – plus ou moins confortablement selon que l’on mesure plus ou moins d’1m50. Travailleur acharné, le tokyoïte y termine sa nuit après avoir raté le dernier métro parce que l’option taxi reviendrait trop cher et que l’alternative de finir la soirée seul dans un box karaoké serait la démonstration un peu trop éclatante du vide de sa vie sociale.
Cette perspective est aussi séduisante que l’option – plus confortable – du love hotel. Mais pour la gaijin
que je suis, expérimenter ce mode de vie est plus difficile que prévu.
Comme souvent à Tokyo, l’anglais est sommaire et ma tentative de
réserver pour la nuit m’a conduit le matin même à devoir dessiner sur un
bloc-note une lune et des étoiles pour apprendre au final que “non, ce
n’était pas possible”. Le soir venu, mon co-testeur et moi dînons donc
rapidement pour être sûrs d’avoir droit à notre nuit en tête à tête avec
les internets.
L’endroit est ce qu’il faut pittoresque : décoration japonaise
traditionnelle, personnel en kimono et rivière factice à l’entrée.
Autour de nous, une trentaine d’autres box fermées par des rideaux, des
murs entiers de mangas souvent pornographiques (des boites de mouchoirs
sont à disposition dans votre espace) et deux douches. Différentes
crèmes et lotions Shiseido sont à disposition dans les toilettes pour
femmes et une dizaine de boissons non-alcoolisées sont proposées à
volonté. Cerise sur le mochi, pour quelques centaines de yens supplémentaires, bière et repas sont servis dans notre box. Le charme opère.
Après les premières heures passées à tenter de traduire Windows (sans succès), à boire des litres de thé vert et à faire le tour des réseaux sociaux (15 minutes), l’enthousiasme laisse pourtant sa place à une certaine anxiété devant ces heures d’oisiveté et d’impératif de divertissement. L’ennui me pousse à dormir, le confort relatif me contraint rapidement à renoncer.
Il est à peine 1 heure du matin et la nuit continue péniblement de
débuter. Le ronflement de l’un de mes voisins s’harmonise avec le bruit
de la ventilation qui, associée à la fumée de cigarette, finit
d’assécher ma gorge. En dehors de ça, l’espace reste étonnamment
silencieux. Après avoir résolu le problème de l’écriture automatique en
kana sur mon clavier, je réponds à quelques mails et après avoir
longuement examiné le contenu de mon sac, débute mon compte-rendu.
A 3 heures, je comprends que pour les besoins de mon récit, il est
temps de découvrir une nouvelle boisson. Pour finir de m’imprégner de la
culture locale, j’opte pour le matcha au lait dont le nom est écrit en
français. Remettant en question mes idées reçues sur la population du
lieu, une jeune fille gracieuse s’engouffre dans un box, une pile de
mangas sous le bras. De mon côté, j’emprunte un magazine consacré à la
création de poupées. Émaillé de figurines au regard vague mises en scène
comme des mannequins de chair, d’une rétrospective sur les plus belles
créations Polly Pocket et d’images de poupées en pièces, le contenu
devient au fil des pages de plus en plus déroutant. Le matcha s’avère,
lui, être un excellent choix.
4:00, les bruits de clavier reprennent, les ronflements continuent.
4:20, et si je dormais un peu ?
5:04, prise de conscience : internet m’ennuie (et je n’arrive toujours pas à dormir).
4:20, et si je dormais un peu ?
5:04, prise de conscience : internet m’ennuie (et je n’arrive toujours pas à dormir).
Finalement, je m’endors à 7h. Tout ça pour être réveillée une heure
plus tard par l’un des membres du personnel qui nous invite avec mille
courbettes et trois mots d’anglais à quitter les lieux. Pas certaine de
savoir ce que je peux tirer de ces quelques heures dans la peau d’un
nolife nippon, il me semble néanmoins avoir moi aussi touché du doigt le
concept de perte de temps maximisée.
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