Yousuke
Naka a 25 ans. Il porte un costume de parfait salaryman sans avoir jamais intégré le monde de l’entreprise et, posté devant la gare d'Akihabara depuis le début du mois, il tente d’attirer le chaland en tenant une pancarte le présentant comme un NEET de location.
NEET est un acronyme anglo-saxon qui signifie non-étudiant, non-employé et non-stagiaire (Not in Education, Employment, or Training). Il est utilisé dans les administrations du Royaume Uni et de certains pays asiatiques tels que le Japon où il est le titre officiel de ceux qui, âgés de 15 à 34 ans, sont sans emploi, célibataires et non-inscrits dans un établissement scolaire. Et parce qu’ils n’ont pas vocation à travailler, les NEET ne sont pas non plus en recherche d’emploi ou d’une formation quelconque.
NEET est un acronyme anglo-saxon qui signifie non-étudiant, non-employé et non-stagiaire (Not in Education, Employment, or Training). Il est utilisé dans les administrations du Royaume Uni et de certains pays asiatiques tels que le Japon où il est le titre officiel de ceux qui, âgés de 15 à 34 ans, sont sans emploi, célibataires et non-inscrits dans un établissement scolaire. Et parce qu’ils n’ont pas vocation à travailler, les NEET ne sont pas non plus en recherche d’emploi ou d’une formation quelconque.
Le phénomène n’est pas récent et fin 2010, feu le site OWNI avait déjà traduit un billet
du bloggeur japonais Tomomi Sasaki, évoquant la révolution tranquille des NEET. Au Japon, si révolution il y a,
il est peu probable qu’elle soit fracassante. Et le fait est que quatre ans
après la parution de l’article, l’initiative de Yousuke prête encore à sourire.
Une révolution douce, on vous a dit.
(via
RocketNews24)
Comme
le montre Recruit Rhapsody, le dessin
animé réalisé par Maho Yoshida, une étudiante de l’Université des Arts de
Tokyo, aujourd’hui encore, la plupart des jeunes diplômés Japonais se voit
contrainte de se conformer à un modèle rigide afin d’obtenir son premier emploi au sein d’une
entreprise qui sera souvent celle dans laquelle elle poursuivra sa carrière. Et
s’ils sont de plus en plus nombreux à partir à l’étranger pendant ou à l’issu
de leurs études (notamment grâce au Visa Vacances Travail), la chose reste peu
répandue. L’enjeu est donc important — sans doute trop — pour des jeunes gens qui
seraient en droit de ne pas avoir de certitude quant à leur avenir
professionnel.
Quelques
jours en arrière, RocketNews24 consacrait l’un de ses articles
à Yousuke Naka, cet entrepreneur d’un nouveau genre. Son offre ? Arpenter Akihabara avec
ses clients au tarif de 1000 yens de l’heure, soit l’équivalent de 7,20€ (le
même tarif horaire que l’animation de conversation en anglais qui me permet de
payer mon loyer).
Le parti
pris du jeune homme me touche d’autant qu’il y a peu, j’expliquais à une amie
qu'il m'était difficile d'envisager un retour à Paris alors qu’à Tokyo, la vie de bohème
que je mène est justifiable. Mon niveau de japonais ne me permet pas d’espérer
mieux que des rentrées d’argent chaotiques. Ici, en étant précaire, je ne
remets en cause le mode de vie de personne et ne heurte personne avec ma
nonchalance. Mon statut devient acceptable parce que courageux.
J’avais
aussi envie de parler de ce phénomène de quasi-prostitution qui tend à se
développer au travers des cafés à câlins, maid café (eux aussi nés à Akihabara)
et autres agences de location d’amis par lesquels les personnes vendent non pas
du sexe mais des simili-sentiments.
Et
puis louer quelqu’un ça reste assez
excitant parce que — mon éducation me l’a appris — c’est mal.
Je
contacte Yousuke via son compte Twitter. Par chance, il semble parler plus que
correctement anglais, ce qui n’est pas forcément une généralité même chez les
nippons de sa génération. Nous échangeons quelques messages, son ton reste formel.
J’irai jusqu’à dire professionnel. Il m’apprend qu’il sera à Akihabara le lendemain
après-midi mais qu’il est réservé
jusqu’à 17h. Soit. Rendez-vous est donc pris le lendemain à 17h.
Akihabara
est avant tout la Mecque tokyoïtes des geeks : on y trouve une dizaine
d’immeubles entièrement consacrés aux jeux, autant de magasins de produits high
tech et de maid cafés, le reste étant des magasins vendant des figurines, des cartes
de collection et des objets de toutes sortes à l’effigie de personnages de fiction
divers et variés.
J'arrive au lieu de rendez-vous et le
vois entouré de quatre de ses amis et de son dernier client, un quadragénaire corpulent
tout sourire et habillé en orange. Yousuke est fluet et ses cheveux raides lui encadrent le visage finissant de lui donner l'air d'un enfant. Même s’il
ne porte pas de cravate, le contraste entre ses habits sérieux et son air
juvénile est frappant. Si l’on ajoute l’œuf Pokémon accroché à sa ceinture et
son brassard NEET, on a une idée de ce que pourrait être la version Akihabara
du Cool Biz[1].
Je me présente et découvre que Yousuke
ne parle pas anglais. Ses amis qui, eux non plus, ne parlent pas vraiment
anglais resteront avec nous : soutien psychologique (pour lui) et traduction approximative
(pour moi). Après avoir tenté de nous rendre dans un café abordable
susceptible de tous nous accueillir, nous nous retrouvons à réaliser l’interview dans
la rue. Bohème, quand tu nous tiens…
J’apprends donc que Yousuke a fait des
études de mécanique qu’il a poursuivi deux ans après les quatre ans prévus par
le cursus traditionnel, deux années qu’il a mises à profit pour réaliser une
statue de Z’Gok. Je ne connais pas personnellement cet individu mais il
me montre une photo, la voici ci-dessous :
L’année dernière, le jeune Naka-san avait déjà
tenté l’expérience dans la rue en tenant une pancarte qui disait : « un
travail, s’il vous plaît »[2],
sans succès. Au lieu de se résigner et parce qu’un de ses grands regrets était
de ne pas être en mesure de produire quoi que ce soit, il a simplement déduit
de cette expérience qu’elle manquait de performance. Il a donc développé une
mise en scène — certes
minimaliste — et
une offre de services qu’il détaille sur le blog qu’il a créé.
Ses clients sont généralement assez
jeunes, avec une proportion équivalente d’hommes et de femmes, parmi eux
beaucoup de salarymen et d’otaku[3].
La plupart prend contact avec lui via internet, après avoir lu un article à son
sujet. Ensemble, ils discutent de leur vie, Yousuke joue le guide touristique du
quartier et parfois de Saitama, où il habite. Il présente aussi la NEET corporation créée fin 2013 par un certain Yujun
Wakashin. Entrepreneur malin, poète ou gourou, je ne suis pas vraiment en
mesure de le dire. Le fait que la NEET corporation compte aujourd’hui 160
membres et que Yousuke prévoit de s’engager plus intensément dans le recrutement
de nouveaux membres — et il ne sera pas payé pour ça.
Pour le moment, ses rentrées d’argent restent
insuffisantes pour vivre mais comme il habite chez ses parents, il ne s’agit
que d’argent de poche. Et comme les médias parlent un peu de
lui, sa mère se contente de montrer timidement son inquiétude mais il n’évoque
jamais le sujet avec son père.
Aucun
de ses clients ne lui a pour le moment proposé d’emploi mais une fois, l’un d’entre
eux l’a invité dans un
buffet à volonté super cher. C'est sa plus belle expérience. Sa pire ? Il
s'est fait dragué par un garçon et à voir sa tête et celle de ses copains, il
n'a pas du tout, du tout aimé ça. Bon… Il est 18h, il commence à faire quelques
gouttes et notre traducteur semble exténué. Consciente que je ne tirerai pas
grand-chose de plus de notre échange, je remercie tout ce petit monde de mille
courbettes, donne mes 1000 yens à Yousuke et prends congés.
Alors que certains y verront une
critique aigre-douce du système, le fait de se présenter comme un
non-professionnel professionnel a soulevé beaucoup de critiques parmi les
lecteurs des quelques articles qui lui ont été consacré. Ces derniers diagnostiquent
paresse et égo démesuré qui empêcheraient le jeune homme de se satisfaire d’un
boulot non gratifiant. Je parierais plutôt sur une tentative d’échapper un
marché de l’emploi qui au Japon, plus qu’ailleurs, tend à scléroser ses membres,
qu’ils soient encore en recherche ou déjà actifs.
Finalement, ces NEET-là ne sont pas
autant dans la critique que l’on aurait envie de le croire. En ayant vendu ses
reproductions de figurines sur des sites d’enchères ou en proposant aujourd’hui
son expertise en matière de cartes à collectionner, Yousuke garde l’objectif de
parvenir à conjuguer sa passion et son gagne-pain. Ce n’est pas le premier à
tenter l’expérience et je souhaite qu’il y en ait encore beaucoup après lui.
[1]
Le Cool Biz (クール・ビズ, kurubizu) est une
mesure gouvernementale japonaise incitant les salarymen à se vêtir de manière plus informelle durant l’été (sans
veste ni cravate) afin de limiter l’usage des climatiseurs dans les entreprises
et ainsi réduire leur consommation énergétique.
[2] En V.O,
son écriteau disait : 仕事ください
(shigoto kudasai).
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