Je ne vais pas me
vanter d’une passion historique pour le Japon. Je n’ai jamais aimé les mangas
et je ne connais rien aux haïkus. Comme tout le monde, j’aime beaucoup les
sushis mais les amoureux de pizza ressentent-ils le besoin d’aller vivre en
Italie ? Ça fait trois
mois que je suis à Tokyo. Et je viens de laisser partir l’avion dans
lequel j’avais réservé mon billet retour.
Ma
première rencontre avec le pays s’est faite fin 2012, après une année en
Australie. Je venais de passer dix jours en Thaïlande où l’extrême pauvreté et l’état
d’esprit « princes du pétrole » des vieux occidentaux libidineux
flambant leur RSA m’avaient laissé un goût amer. Arrivée à Tokyo, en parallèle
du choc thermique, je me heurtais avec plaisir à cette « charmante obséquiosité »*. Balançant entre une sensation de proximité et de dépaysement,
j’étais convaincue de la nécessité de revenir pour mieux comprendre, ou au
moins essayer.
En
préparant mon retour, d’autres justifications sont apparues : il fallait que
je confronte ma nonchalance au légendaire souci du détail japonais. Peut-être
aussi, avais-je envie de profiter du pays avant qu’il ne devienne impraticable suite à une nouvelle catastrophe naturelle. Et puis, depuis mon retour en France l'année dernière, je n’avais plus vraiment réussi à apprécier ma vie parisienne.
C’est peut-être pour ça qu’à peine débarquée sur le territoire japonais — et alors que je m’étais jusque-là appliquée à me convaincre du contraire — j’ai su que je voulais rester.
C’est peut-être pour ça qu’à peine débarquée sur le territoire japonais — et alors que je m’étais jusque-là appliquée à me convaincre du contraire — j’ai su que je voulais rester.
Je suis donc arrivée début mars. La fin
de l’hiver était froide et alors qu’à Paris tout le monde se baladait en t-shirt
et jasait sur les pics de pollution, moi j’ai gardé mon manteau en me demandant
ce qui était pire : inhaler les particules fines parisiennes ou manger les
onigiris vendus dans les konbinis tokyoïtes (dont le riz est
supposé provenir de la région de Fukushima).
Mais rapidement, l’angoisse relative
aux catastrophes naturelles/nucléaires s’estompe ; tout le monde vit comme
si de rien n’était. Je ne prétends pas que c’est un bien mais je suis tentée de
suivre le mouvement — j’envisage,
à la rigueur, d’acheter un casque en plastique en prévision du prochain big one. Il faut donc
que je m’arrange avec l’incohérence de refuser de fumer (alors qu’ici, on peut
fumer à peu près partout, restaurants inclus) tout en acceptant l'hypothèse
d'ingérer des produits irradiés. Je repense à ‘la dose’ évoquée dans le film Grand Central et je dois avouer que je
n'ai pas la moindre idée de mon degré d'exposition et de ses conséquences
éventuelles. Mais il faut bien mourir de quelque chose, hein ?
En attendant, je bois tous les soirs ma petite préparation au collagène pour préserver la jeunesse et l'élasticité de ma peau. Et puis, contrebalançant le risque latent de cataclysme, il y a le fait qu’on se sent immédiatement en sécurité, n’importe où, à toute heure du jour ou de la nuit. En tant que femme, c’est un sentiment inédit et terriblement libérateur. J’ai d’ailleurs découvert que pour réserver sa table au café, il suffit d’y dépose son iPhone et/ou n’importe quel autre objet de valeur.
En attendant, je bois tous les soirs ma petite préparation au collagène pour préserver la jeunesse et l'élasticité de ma peau. Et puis, contrebalançant le risque latent de cataclysme, il y a le fait qu’on se sent immédiatement en sécurité, n’importe où, à toute heure du jour ou de la nuit. En tant que femme, c’est un sentiment inédit et terriblement libérateur. J’ai d’ailleurs découvert que pour réserver sa table au café, il suffit d’y dépose son iPhone et/ou n’importe quel autre objet de valeur.
Pour ce qui est de mon intégration, même si j'ai ouvert un compte en
banque, que je suis titulaire d’un
abonnement téléphonique et d’une carte d'assurance maladie et que je vais tous
les jours au supermarché pratiquer les trois phrases que je maîtrise, je n’ai tissé
des liens qu’avec quelques personnes, la plupart expatriées. Heureusement, il y
a les izakayas, les bistrots japonais
dans lesquels il n’est pas rare de finir la soirée à papoter avec des salarymen éméchés — devenus
soudainement très bruyants — ravis de vous raconter leur vie et de
vous conter fleurette. Reste que mes
ambitions initiales par rapport à la connaissance de la langue étaient
insuffisantes. Je pensais pouvoir me contenter de lire les deux syllabaires
japonais. De fait, il m’est pour le moment impossible de lire autre chose que
certains mots étrangers (en katakana) et les mots de liaisons (en hiragana). Dans
mes échanges quotidiens, j’essaye de recourir au minimum à l’anglais mais en
n’ayant comme outils que quelques mots et expressions, la tâche s’avère
complexe. Par
chance, une connaissance m’a appris que chaque arrondissement de Tokyo
proposait gratuitement à ses résidents des cours de japonais. J’ai débuté trois
semaines en arrière à raison de deux matinées par semaine. Il m’est difficile d’évaluer si je progresse mais je sais que j'arrive de mieux en mieux à
utiliser les syllabaires. Pour être exacte, pour certains d'entre eux, je n'ai
plus besoin de regarder le modèle pour les dessiner. Je ne saurais dire si je
suis plus à l'aise à l'oral, je peux néanmoins vous assurer que dire l'heure n’est
pas à la portée du premier venu. La bonne nouvelle, malgré tout, c’est que jusque-là
ce qu'on apprend me paraît logique et que je retiens des nouveaux mots. A terme,
j’espère pouvoir gagner en aisance et approfondir mes échanges avec les
japonais, le tout en version originale (même s’il reste amusant de constater
que l’on peut comprendre et faire beaucoup de choses sans parler la langue d’un
pays).
Sur le plan professionnel, j’ai
commencé à donner des cours de français au bout de deux semaines. Les Japonais
adorent la France. Le problème est que leur passion se limite souvent à la
maroquinerie et aux macarons. Pour le moment, je n’ai donc que quelques élèves.
C’est insuffisant pour vivre mais ça me donne au moins un petit goût de
sociabilisation. En parallèle, j’ai commencé à intégrer des cafés de langue en
tant qu’ « hôtesse de conversation » (le plus souvent en
anglais). L’exercice est d’autant plus amusant que ces dernières années, faire
la conversation m’est devenu de plus en plus pénible. Je suis également
inscrite dans plusieurs agences d’artistes pour faire de la figuration. Soyons
honnêtes, jusque-là et malgré mes différentes activités, je galère un peu. C’est
à la fois frustrant et motivant parce que ma situation tend doucement à s’améliorer.
Et contrairement aux croyances populaires, à Tokyo, il est tout à fait possible
de vivre avec un budget minime.
Suis-je en mesure de voir les côtés négatifs du
pays ? Je peux en voir certains. La solitude est immédiatement saisissable,
avant même d'arriver dans le pays. On voit des reportages sur la misère
sexuelle mais aussi — et
surtout ? — relationnelle
des Japonais et ce sentiment se confirme sur place. Dans les restaurants,
d'abord, où les clients s'assiéront en priorité au comptoir avant d'investir
les tables en cas d'affluence. Peut-être est-ce pour éviter de donner trop de
travail à la personne chargée du service ? Peut-être est-ce autre chose.
J'avoue avoir été traumatisée par les mots de
l’hôtesse d'un « bar à câlins » du quartier d'Akihabara qui, dans un
reportage réalisé pour Vice,
évoquait de sa voix enfantine son envie de tuer les couples qui manifestaient
leur affection en public. Représente-t-elle les jeunes femmes de sa
génération ? Probablement pas — j’ose même croire à une certaine mise en scène
— néanmoins, son impassibilité à
l’évocation de ses prétendues pulsions meurtrières ne pouvait laissait
insensible.
Parmi les clichés véhiculés, il y a aussi cette
image qui colle à la Japonaise supposément à la recherche d’un occidental qui
la traitera comme une princesse. Jusque-là, les conversations que j’ai pu avoir
avec la gent féminine se sont limités à des échanges de politesses, difficile
sur cette base de parler en leur nom. Le seul indice que j'aurais en ce sens,
c'est le fait que la grande majorité des personnes m’ayant contacté pour des
cours de français sont des hommes (avec une proportion de 12 contre 2).
Il y a donc de la bizarrerie dans ce pays, sans le
moindre doute. De la souffrance, de l'excentricité aussi, comme n'importe où
ailleurs.
Selon moi, le principal problème du
Japon, c’est sa tendance à l’infantilisation de la population. Le Japonais vit
sur des rails. Dans la rue ou dans le métro, on lui indique où marcher et comment
se comporter (ne pas téléphoner dans le métro, ne pas danser dans les bars). Il
est en parallèle la cible de mille sollicitations de
divertissement/consommation. Du pain, du
vin… et surtout, ne pas trop réfléchir. Mon principal problème, c’est ma
tendance à me laisser prendre dans le processus. Tokyo
tend à refaire de moi une enfant. Du coup, moi aussi, je commence à prendre du plaisir à jouer
à des jeux de rythmique dans les game
centers (les immeubles consacrés au divertissement). Le symbole de ma
perdition est une figurine de
phoque déguisé en tortue. Elle trône sur mon étagère et me rappelle qu’un jour, j’ai ressenti le
besoin de la posséder… et que je suis passée à l’acte.
Ainsi, trois mois après être arrivée, et même si je dois m’habituer à partager le trottoir avec les vélos, ma vie tokyoïte est plutôt parfaite. Parce
que l'exotisme rend tout plus intense, la ville m’a sortie de ma léthargie. Et
même si je préférerais avoir ceux que j’aime dans les parages, je ne ressens
pas le mal du pays. Et puis au cas où je flancherais, je pourrai chercher du
réconfort dans les paroles de Zaz que mon élève Wataru souhaite étudier… après
avoir écouté du Corneille au supermarché et Dieu m'a donné la foi au 100 yens shop…
*En empruntant les mots de la journaliste Karyn Poupée (Les Japonais, Editions Talandier, p157)
Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !
Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie I)
Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie II)
*En empruntant les mots de la journaliste Karyn Poupée (Les Japonais, Editions Talandier, p157)
Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !
Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie I)
Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie II)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire