Le
terme d’office
lady
(オフィス・レディー,
souvent raccourci en O.L, オーエル)
désigne l'employée de bureau japonaise qui n'envisage pas de faire
carrière, contrairement à sa collègue ambitieuse, pour sa part
étiquetée shokuin
(職員,
littéralement employé.e).
Le titre d'O.L destine l'employée aux tâches subalternes, telles
que l'accueil ou le secrétariat. Cruellement assimilée à une
« fleur de bureau » (職場の花,
shokuba
no hana),
elle serait une épouse de choix —
facile
d'accès —
pour
son collègue salaryman
(サラリーマン)
dont le sort n’est que relativement plus enviable (mais ceci est
une autre histoire). Les clichés subsistent : la jeune et jolie
office
lady
rêve
au mariage qui la sortira de sa voie de garage.
Aggretsuko (Sanrio) |
Le
terme d’office
lady
serait
né à l’approche des jeux olympiques de Tokyo de 1964 alors que
certaines voix s’élevaient pour offrir un nouveau titre à la
business
girl (ビジネス・ガール)
dont les initiales en anglais, identiques à celles de bar
girl,
auraient
prêté à confusion.
En
France, on l’a rencontrée dans le
Journal
érotique d’une secrétaire
de
Masaru Konuma et dans le plus grand public Stupeur
et Tremblements,
récit de la dégringolade d’Amélie Nothomb au sein d’une
catégorie supposément sans hiérarchie. Aujourd’hui encore
on la repère à son conformisme d’apparence : trench beige,
tailleur gris, queue de cheval et escarpins de trois centimètres
sans fantaisie.
Parce
qu’elles constituent une portion conséquente de la classe moyenne
et que sa jeunesse et ses charmes prêtent aux fantasmes, l’office
lady
reste
un élément clé de la fiction nipponne. Tout n’est pas traduit,
bien sûr,
et
peu de ces fictions sont réellement iconoclastes (je regrette
l’absence de traduction des dessins de
black9arrows),
mais une poignée passe la barrière de la langue pour nous donner un
aperçu d’une société où le polissage constant laisse malgré
tout entrevoir les failles. Que ce soit derrière un hamster ou sous
les traits d’un panda roux, l’O.L sort de l’ornière. Rébellion
animalière (puisque tout est plus kawaii
avec
des animaux), Ebichu
et
Aggressive Retsuko alias Aggretsuko
dressent
un portrait rafraîchissant d’un éternel personnage secondaire.
Ebichu, la perversion innocente
Ebichu
(version déformée d'Ebisu) est un le hamster à tout faire de
l’office
lady,
désignée en tant que Gochujin-chama,
maîtresse
(le suffixe sama,
également déformé, marque le respect du rongeur pour sa
maîtresse). D’une innocence à toute épreuve (d’ailleurs
marquée par sa prononciation enfantine de certaines syllabes) et
d’une loyauté sans faille, Ebichu alterne entre tâches ménagères
et descriptions explicites de l’intimité de la « célibataire
de 25 ans au très joli corps » qui partage sa vie.
Très
loin de la légendaire élégance japonaise, Gochujin-chama
fume,
boit, jure et martyrise son animal de compagnie.
Le
pire de ses crimes, selon Ebichu, n’est pas de lire des livres sur
la compatibilité romantique entre groupes sanguins (l’équivalent
nippon de nos horoscopes), mais de s’être amourachée de
Kaishounashi
(la
loque inutile) qui la trompe sans vergogne et souffre d’une
addiction aux jeux d’argent.
Ebichu
nous montre le string rose trop petit qui se cache sous le trench
beige de l'office lady, elle nous raconte la classe moyenne
dans ce qu’elle a de moins conforme aux valeurs traditionnelles
nipponnes.
Aggretsuko, la face cachée du kawaii
Aggretsuko
est une franchise Sanrio. Fallait-il un jour que le personnage
d’Hello Kitty grandisse, intègre le monde du travail et exprime
ses frustrations face au job sans perspectives ni reconnaissance
qu'elle aurait fini par trouver ? Peut-être. Toutefois, l’hypothèse
aurait laissé plus d’un fan sur le carreau. De cette prise de
conscience est né le panda roux anthropomorphique Aggressive Retuko
AKA Aggretsuko.
Assistante
administrative dans une grande entreprise tokyoïte, Retsuko évolue
parmi des collègues intrusifs qui persistent à lui montrer
leurs photos de famille et des supérieurs qui se déchargent constamment
sur elle. Retsuko
ne trouve d’exutoires satisfaisants que dans les sessions de
karaoké death metal à l'occasion desquelles, devenue une version
démoniaque d'elle-même, elle crache sa frustration.
Aggretsuko
incarne les deux faces du honne/tatemae,
cette distinction
fondamentale
entre les sentiments propres de l'individu, d'une part, et le masque
de neutralité qu'il se doit de maintenir en toutes circonstances
afin d'assurer l'équilibre de la société d'autre part. D'une
patience infinie sur son lieu de travail, la demoiselle panda tombe
le masque à la nuit tombée.
Bien
sûr les portraits plus consensuels foisonnent. De fait, on ne peut
que se réjouir lorsque, au travers de
cette
éternelle subordonnée supposément par choix et d'un petit animal
mignon, nous parvient la dénonciation d'un monde de l’entreprise
archaïque et d'une société dont la sophistication des codes ne
parvient pas à dissimuler le mal-être.
Ebichu
est un manga en 15 tomes (non traduits) de Risa Itō décliné en une série animée
de 24 épisodes (version traduite disponible en ligne).
Aggretsuko
est une franchise Sanrio dont la version animée devrait être
disponible au printemps 2018 sur Netflix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire