vendredi 31 août 2018

Culture Pow // La petite fille est une guerrière


Armure sculpturale ou uniforme d’écolière, lestée d’une mitraillette ou sabre au clair, la fillette guerrière déloge une molaire ensanglantée de sa chevelure lagon. Elle époussette sa mini-jupe. Le regard vague, elle sourit.

Tout récemment initiée aux mangas et jamais vraiment convertie aux anime, je l’ai découverte au travers de la novella Kamikaze Girl de Takemoto Novala, de son adaptation cinématographique et d'une poignée de films flirtant avec la marge pour mieux aguicher le grand public. Je pense notamment à Battle Royale de Kinji Fukasaku, Love Exposure de Sono Sion, et plus récemment d’Avant que nous disparitions de Kiyoshi Kurosawa. 




Elle s’est depuis imposée à moi comme un immanquable du paysage culturel japonais. Si on la croise à l’occasion dans nos contrées Elle s’appelle Buffy et elle tue les vampires. , c’est bien au Japon qu’elle règne en maîtresse. 

Tomber sur Beautiful fighting girl du Japonais Tamaki Saitô à la médiathèque de la Japan Foundation est probablement un signe de sa part : la jeune fille guerrière existe et veut qu'on parle d'elle. J'ai donc entre les mains la version anglaise d'un essai publié en 2000. Alors j'ouvre une parenthèse et m’interroge : le traducteur qui, en 2011, s'est vu contraint de traduire que Altavista était le plus grand moteur de recherche s'en est-il remis ? 


L’interminable titre japonais, Sentō bishōjo no seishin bunseki, pourrait se traduire en français par Psychanalyse de la jolie fille guerrière (Saitô est psychologue de formation.) et j’ai bon espoir de trouver dans ces 240 pages de savants éléments de réponse aux questions que je ne me pose pas encore. 


Si Tamaki Saitô voit Jeanne d’Arc comme la reine et l’ancêtre de toutes les jolies fillettes en armes, il s’attache à faire de ces dernières une spécificité japonaise. Citant les exemples de Barbarella et de Cat Woman, il considère qu’hors de l’archipel, ces guerrières, généralement adultes, sont des “hommes dans des corps de femmes”. Car le mignon serait le propre du Japon. Le nez enfoncé dans son île natale, Saitô est visiblement passé à côté des Powerpuff Girls (en français, dans une traduction datée et datable, Les Super Nanas), superhéroïnes mignonnes à l’excès lancées sur Cartoon Network en 1998 (soit deux ans avant la publication de Beautiful fighting girl).


Au fil des pages, j'apprends qu'elle combat depuis les années 60, d’abord dans les créations de Shôtarô Ishinomori (à qui l’on doit notamment San Ku Kaï). Magicienne dans les années 60, métamorphe dans les années 70 (passer de gamine sans histoire à superhéroïne en enfilant justaucorps, cape et bottines symbolise le passage à l’âge adulte), elle revient au début des années 90 magicienne et transformeuse : elle est Sailor Moon. La fin du millénaire fera d’elle une misanthrope (Rei Ayanami de Neon Genesis Evangelion) et une cyborg (Motoko Kusanagi de Ghost in the Shell). 


Alors certains questionnent, prudents : n'annoncerait-elle pas la montée du féminisme nippon ? L'auteur, sans surprise, réfute l'idée en évoquant tour à tour le caractère fictionnel et l'objectification du personnage comme indicateurs de son innocuité.


Couverture du volume 1 de Jyoshikohei de Jiro Matsumoto
Couverture du volume 1 de Jyoshikohei (Jiro Matsumoto)
Reste qu'en rupture avec l’idéal de demoiselle en détresse (la bishōjo, belle jeune fille, à la fois douce et discrète), la jeune fille guerrière contourne les lieux communs. Elle serait aimée précisément pour sa pureté, sa fragilité et sa douceur, attributs qu’elle parvient à mettre de côté au cœur de la bataille. On ne se débarrasse pas des stéréotypes comme ça, d’ailleurs il n’est dit nulle part que le Japon qui a vue naître cette héroïne ambiguë souhaite se débarrasser des dits clichés.


Comme l’explique la postface, avec son Beautiful fighting girl, Tamaki Saitô opère un défrichage et son analyse à la lorgnette laisse de nombreux angles morts. Le psychologue, sans vraiment s’en cacher, choisit de psychanalyser l’otaku qu’il voit comme un groupe uniforme de mâles hétérosexuels. En faisant de la jolie fillette guerrière un support de fantasmes et un exutoire (l’expression d’onanic pet, animal-de-compagnie-chouchou-support-masturbatoire, ne s’est plus délogée de mon esprit), il s’épargne d’analyser son influence sur le public féminin pourtant visé par l’essentiel de ces productions.

Image tirée de Jyoshikohei de Jiro Matsumoto
Image tirée de Jyoshikohei de Jiro Matsumoto


Retenons que la très blonde Buffy Summers est née d’un couple américano-japonais et que le personnage serait directement inspiré du modèle de la jolie fillette guerrière nipponne. Au-delà de l'apport de l'essai (ni toujours accessible ni toujours pertinent), il y a l’héroïne. Un temps unique au monde, la jolie fillette guerrière est devenue une convention du genre manga avant d'imprégner tous les pans de la culture nipponne et mondiale (vue au Kebab dans le clip de Flames, la toute récente collaboration entre David Guetta et Sia). Icône féministe ou symbole misogyne selon qui s’en empare, la jolie fillette guerrière incarne la revanche des faibles. Être une fille chastement libérée, tu sais, c'est pas si facile.






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