La
beauté est une affaire sérieuse. Instruments
de torture rose fluo, bave d'escargot et placenta de mouton :
comment résister à l'offre de produits supposés
lisser/dégraisser/unifier/tonifier/blanchir/dérider les carcasses
japonaises ?
En
ce début d'après-midi, ma télévision s'allume sur une émission dans
laquelle de délicates quadragénaires divulguent les secrets de leur
apparence juvénile. La première explique recouvrir son visage de la
peau du lait qu'elle vient de faire bouillir, une autre fait des
demi-pointes pendant qu’elle sèche ses cheveux, la dernière se
balance quotidiennement à la corde pendue au milieu de son salon sous
le regard bienveillant (?) de ses enfants. Leur
point commun ? Des ongles aux couleurs
de l'arc-en-ciel et des lubies alimentaires perturbantes —
notamment pour les invités de l’émission filmés en train de
produire des EEEeehhh??!!
à chacune de leurs révélations.
De
l'avis général, la Japonaise a une beauté sophistiquée mais
rarement sensuelle. La culture dominante promeut la discrétion et
l'uniformité. D'ailleurs, en 2014, sur la plage de Kamakura (à une
heure seulement de Tokyo), les autorités locales diffusent des messages
indiquant que les tatouages des baigneurs devraient être dissimulés.
Dans ces conditions, quel espace reste-t-il à la Japonaise pour se
faire cagole ? Et
d'ailleurs, qu'est-ce exactement qu'une cagole ?
Cagole /ka.ɡɔl/
féminin
(Occitanie) Fille au comportement plutôt vulgaire et souvent
vêtue ou maquillée de manière outrancière attirée par les
vêtements aux couleurs criardes.
(Merci Wiktionnaire)
En lutte contre un
système valorisant la retenue qui a fait d'elle un être un peu trop
discret à son goût, elle se redessine blonde, flamboyante et
froufrouteuse. Pas forcément vulgaire, même si l'élégance est optionnelle. Le tape-à-l’œil doit primer : plusieurs couches de maquillages pour un teint
maronnasse, de longs cheveux blonds soigneusement ondulés, des
petits autocollants au coin de l’œil pour agrandir le regard et des
lentilles supposées produire le même effet. Le succès sera total
si cette dernière parvient à maintenir une voix haut perchée
nasillarde. Nous y sommes : devenue kogaru
(ou
gyaru de
l'anglais gal, girl),
la cagole suprême peut partir à la conquête du 109.
Merci Google Images |
Au cœur de Shibuya, le
109 est le temple du shopping pour les jeunes filles plus ou moins en
fleurs, génériquement couvertes de robes roses volantées et de boucles blondes à la tenue
impeccable. Ici plus qu'ailleurs,
pour séduire, la femme se doit d'adopter une attitude enfantine :
être gracile et user d'une voix anormalement aigüe, le tout
assorti de mimiques ridicules —
que je finis malgré moi par singer.
En me rendant aux
toilettes,
j'assiste à une compétition opposant vendeuses et clientes dans
l'espace boudoir. Alors que je contemple l'une d’elle faire frénétiquement
danser un fer à friser au milieu de ses extensions capillaires, je réalise que de n’être là que pour uriner fait de
moi une paria. Je prends donc une air inspiré pour consacrer une
dizaine de secondes à remettre une couche de Labello
cerise sur mes lèvres. Je ne suis pas certaine de faire illusion mais
peut-être est-ce une nouvelle étape de ma transformation ?
Malgré tout, je dois rester lucide : je ne serai jamais
intégrée si je ne me rase pas les poils
des avant-bras — les
codes sont par contre moins formels en ce qui concerne d'autres
parties du corps habituellement dissimulées.
Je regrette parfois
que nous ne fréquentions pas les mêmes cercles. Par chance,
il m'arrive de vous croiser le samedi matin à Roppongi, le quartier
où l'on sort [Note : On
désigne les gens.
Moi, je dors]. Quand je pars sur des tournages au petit jour,
comment pourrais-je rester insensible à votre ballet :
incapables d'avancer seules sur vos talons devenus trop hauts pour le
degré d'équilibre que vous parvenez à maintenir. Je vous regarde tituber, étrangement gracieuses. Mesdemoiselles, vous ne le saurez sans doute jamais mais vous illuminez ma journée.
Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !
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