vendredi 25 juillet 2014

Figurante à Tokyo : j'ai été payée pour regarder 4h de Vidéo Gag (et c'était très long)

Travailler en tant que figurante au Japon amène à faire des choses étranges. J'ai par exemple accepté l'offre suivante : 

ONEGAI RANKING GOLD TV SHOW (TV Asahi)

We are looking for: 
 1. ALL RACE & SEX ! AGE GORUP FROM 18~40’S !
 2. YOU WILL BE WATCHING A VIDEO FROM YOU TUBE & MAYBE A SHOT INTERVIEW
[sic]

Je crois comprendre qu'il s'agit de faire partie du public d'une émission TV, je me dis que ça peut être amusant. La paye est de 10000 ¥ cash (soit 73 €) et il n'y a pas de sélection. Banco.

23 juillet, 11h30, Forum 8 (Shibuya)

Inutile de vérifier l'adresse lorsque je vois la centaine de gaijins amassée dans la rue. L'image a un petit côté casting de la Nouvelle Star. Je ne reconnais personne et de toute façon, je n'ai pas envie de causer. J'espère juste qu'ils vont nous nourrir parce que j'ai faim.

11h50, après avoir signé la feuille de présence, on s'installe dans une salle de conférence, j'ai un badge à mon nom indiquant mon pays d'origine et un porte bloc note.

12h15, la salle est pleine. Je reconnais quelques figurants croisés sur des tournages. Un type nous explique que nous allons devoir noter des vidéos. Ça semble un peu trop beau pour être vrai. Au vu des documents qu'on nous a remis, il y aura six séries comportant entre dix et vingt séquences. Chacune sous une thématique différente traduite dans un anglais approximatif : Unexpected happening, Securtiy cameras, Rescue, Challenger daredevil, Wonderful: natural phenomenon, Attacked by the animal and is the pinch. 

 

Les images, pour la plupart vieilles de plusieurs années, ont été trouvées sur Youtube ou sur Iskra TV (que je découvre par la même occasion). Peu importe, la tension est garantie par les comptes à rebours et les arrêts sur image avant chaque effet dramatique. En prime, un animateur nous gratifie de commentaires en japonais. La première bonne nouvelle, c'est que je vais rattraper les 20 ans de Vidéo Gag que j'ai de retard. La seconde, c'est que ça va me permettre de réviser mon japonais : j'ai reconnu le mot "grand-mère", je suis vachement contente.

Trois cameramen tournent autour de nous pour filmer nos réactions. Je fais la gueule et j'ai faim.

13h, nous venons de finir la première série. La moyenne de mes notes tourne autour de 4/10 et encore, je me trouve gentille. Un des types vient caméra au poing me demander : dō deshita ka?1 Je réponds en anglais — et en grimaçant pour être plus explicite — que je n'ai pas aimé. Il interroge donc mon voisin qui n'a pas beaucoup aimé non plus mais qui, lui, a des trucs à raconter en japonais.

On nous amène des bouteilles d'eau.

Nous reprenons le visionnage. La salle rie très fort, la gent féminine pousse des cris aigus parce que parfois ça fait peur et la série se clôt sous les applaudissements. J'ai l'impression d'avoir intégré un programme de lavage de cerveau. L'hypothèse est crédible.

13h37, fin de la deuxième série. Peut-être parce que j'ai fait la gueule tout le long, personne ne me demande ce que j'en ai pensé. Le responsable de l'agence, lui, vient me voir pour me demander si je vais bien. Pourtant, prise de remords ou déjà en cours de conditionnement, j'ai mis de meilleures notes. 
Je réalise que l'expérience est d'autant plus désagréable qu'elle me rappelle l'examen du code de la route. Regarder une vidéo, choisir le chiffre adapté. J'ai planté mon code à deux reprises. J'envisage de partir mais je me rappelle que je suis payée pour être ici.

Je croise un Français qui avait joué mon mari sur un tournage précédent. Je commence à vider mon sac, espérant trouver chez mon compatriote un écho à ma douleur. Il me regarde sans que je puisse déchiffrer son expression et me répond : ça va, y'a pire comme job !

Je sais qu'il a raison. Suis-je à côté de la plaque ? Probable. Oui, ça pourrait être pire : ils pourraient nous passer de la makina en fond sonore.

La troisième série débute, elle s'intitule Rescue. Je trouve ça un peu ironique. Profitant de la bonne humeur ambiante, l'animateur nous invite maintenant à faire des standings ovation. Il est 14h12, je reste assise et je voudrais manger.

Nouvelle pause : nous apprenons que le déjeuner n'est pas pris en charge. Je sors donc acheter deux onigiris dont un fourré aux alevins. Cet onigiri reste la meilleure partie de l'expérience.

Il est 15h30 quand à l'écran, un type se balance à moitié à nu au dessus d'une fosse aux crocodiles, un morceau de viande accroché à son slip. La salle est hilare. Sans savoir pourquoi, je pense au type qui a noté mon bouquin 1 sur 5 sur Amazon. S'il était avec nous, est ce qu'il rirait ? J'espère qu'il serait de ceux qui rient.

16h07, fin des visionnages. La salle applaudit avec enthousiasme. Le cerveau débranché, je ne réalise pas tout à fait que la fin est proche. On nous indique la date de diffusion, je ne prends pas la peine de l'inscrire à mon agenda. A défaut, j'intègre docilement la file qui se forme pour être payée. Temps de cerveau disponible. Bientôt je retrouverai mes esprits, bientôt.


1En français : C'était comment ?

 Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

jeudi 17 juillet 2014

C’est extra : faire de la figuration au Japon (Partie III)


« T'es au Japon, souris ! »

L’une des choses les plus intéressantes sur les tournages ici, ce sont les gaijins avec lesquels nous partageons quelques heures de nos vies sans l'avoir choisi. Après avoir réalisé que ce sont toujours les mêmes têtes à l’écran — chaque programme ayant une agence de référence —, quelques tournages permettent d'identifier parmi eux les nuisibles.  

Je pense tenir mon rang de Française râleuse, j’y consacre une énergie certaine. Mais comme l'enfer c'est les autres, je suis plutôt tentée de me méfier de la jolie vingtenaire. Celle qui se dit que sur un malentendu, ça pourrait marcher pour elle. On la reconnaît à son besoin compulsif de se remaquiller toutes les demi-heures et au magnétisme l'amenant à être constamment dans le champ de la caméra. Pleine d'énergie et super positive, son défaut majeur est de m'amener à me demander où est passé mon propre enthousiasme imbécile. 

Son pendant masculin, l'acteur raté, est plus pénible même si tout aussi innocent. La cinquantaine bien avancée, le bronzage et le brushing impeccables — quoiqu'en cours d'élagage pour le second —, il est incroyablement télégénique. Il fait son possible pour amuser la galerie en produisant des séries d’onomatopées. Comme un rire poli finit toujours par être émis, on ne l'arrête plus. D'ailleurs, sa forme extraordinaire, il la tient de sa boisson aux baies de goji. S'il flirte avec la frontière de la nuisance, c'est malgré lui.

Alors qui est le nuisible ?  

Le nuisible, sans que j’ai réussi à comprendre pourquoi, porte une casquette. Il parle très fort, pour aligner les lieux communs et les plaisanteries dispensables. Il a un avis tranché et négatif sur tout et a beaucoup de choses à m'apprendre sur le Japon. Parce qu'il déteste le Japon. Je viens de le rencontrer, il ne me connaît pas, mais il est sur le point de m'expliquer la vie.   

Mécanique inexorable, ces tournages sont l'occasion de ressasser les mêmes clichés. D'abord en prétendant les dénoncer puis en allant chacun de son exemple le validant. Sujet inépuisable : les Japonaises sont vénales et, une fois mariées, elles se transforment en monstre sans cœur régnant sur le foyer. 

Sera aussi évoquée l'obligation pour le Japonais de se conformer à un comportement type, au risque d'être considéré comme un Japonais cassé, selon l'expression employée par un figurant américain. Parce qu'elle va dans le sens des idées que je suis en train de me forger (l'équilibre du groupe doit primer sur l'individualisme), la théorie me plaît. Le problème est qu’en faisant des recherches sur le sujet, je n’ai rien trouvé. Et aucun des Japonais que j'ai interrogés n’a entendu parler du Japonais cassé.

Mais le nuisible ne se contente pas de théoriser. Il s'intéresse à moi et s'enquiert de savoir si j'ai déjà testé les love hotels et les onsens. Il peut aussi s'exclamer — en français — que son cinq à sept du moment, l'autre coup, elle portait un décolleté ras-la-moule (sic). 

Quand il n'est pas francophone, le nuisible n'hésite pas à demander le sens de l'expression « je t'aime » et veut savoir si je connais une certaine Céline, une étudiante française dont il n'a plus de nouvelles depuis qu'elle a décidé d'épouser un Japonais. En réponse à mon haussement de sourcils, il m'explique que « ben oui, elle aime beaucoup le Japon ». 

Il me demande mon âge, s’exclame que je fais plus jeune en prenant à témoin une jolie Japonaise qui feint de s’extasier. Malaise. De son broken English, Relou embraye sur le fait que c’est normal, les femmes ne pensent qu’au shopping. Ce sont les hommes qui, eux, gèrent les vrais problèmes : payer le loyer et les factures. Alors évidemment, ils vieillissent plus vite. Plaisante-t-il ? Non, son rire gêné me confirme qu'il est très sérieux. Il conclut que vu que j’ai trente ans, pour se mettre dans la peau de nos personnages, on dira que je suis sa petite amie et que nous rentrons de lune de miel. Vision d'horreur.

Il finit par me recommander d’éplucher les annonces des journaux gratuits pour trouver fissa « un mari japonais qui te donnera de l’argent tous les mois et que s’il ne le fait pas, tu peux le traîner au tribunal comme l’a fait *BIP*. » BIP est une figurante avec laquelle j’ai échangé en tout et pour tout trois phrases, mais je suis ravie d'être informée par un inconnu des conditions de son divorce.

Le pouvoir de nuisance de la plaie se multiplie lorsque deux spécimens se rencontrent. A ce moment là, débute un phénomène extraordinaire : les répliques précieuses s'enchaînent alors que le temps s'étire. Paternaliste, condescendant et aigri, en incarnant ce qu’il faut éviter de devenir, le nuisible finit par démontrer son utilité. 

- C’est extra : faire de la figuration au Japon (Partie I)
- C’est extra : faire de la figuration au Japon (Partie II)

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

dimanche 13 juillet 2014

Neoguri : la grosse arnaque le typhon



Ma première saison des pluies [1] a été décevante. J'attendais qu’il pleuve sans discontinuer pendant un mois mais il n’a plu que quelques jours, par averse. C’est dommage parce qu'une des choses les plus poétiques à Tokyo, c'est le ballet des parapluies. Le parapluie japonais est sans égal : il est transparent — et maintenant je sais qu’un parapluie opaque n’est qu’un brouillon de parapluie —, on le paye 108 ¥ (0,80 €) au hyaku en shop[2], puis, une fois sur deux, on l’oublie dans le métro en rentrant chez soi. 

J’attendais que Neoguri me fasse découvrir Tokyo sous des trombes d’eau. J’attendais beaucoup de lui. Surement trop.


Mardi 8 juillet

04h24, mon père via Gmail

Bonjour mon amour.
La météo annonce un typhon sur le japon pour mardi. J'espère que ton logement est assez solide (je plaisante), évite quand même les sorties. (…)

Dois-je lui avouer que je n’ai qu’une très vague idée de ce qu’est un typhon ? Si on me pose la question, je dirais sans doute que typhon et tsunami, c’est un peu la même chose. Sauf que le typhon, visuellement, ça ressemble plus à une tornade. Et ça se passe en mer. 

Finalement, la seule chose dont je suis sûre, c’est que c’est dangereux. Comme je sais que l'humour paternel est aussi douteux que le mien, je clos ma réponse par un : Ps: pour le typhon, j'ai pris un parapluie. 

14h08, ma tante via Facebook

Un énorme typhon est annoncé au Japon avec des vents 220 KM/H et débordement de la mer avec violence. Sois prudente chérie!...

Moi : Ça marche ! Bisous !

Mercredi 9 juillet 

Ce matin, pendant mon cours de japonais, nous apprenons que le passage du typhon sur Tokyo est prévu vendredi. Il faudra donc les appeler jeudi pour vérifier que le cours du lendemain est maintenu.

Le secret espoir d’une journée bloquée chez moi et n’avoir rien d’autre à faire que d’écouter la pluie tomber en sentant ma maison balancer se dessine. Parce que pour mieux résister aux tremblements de terre, les bâtisses japonaises (qui ne semblent d’ailleurs jamais avoir de mur mitoyen) reposent sur des structures déformables qui, comme le roseau, auront tendance à se courber mais pas à « rompre ». Situé au deuxième étage, je sens presque au quotidien mon lit balancer au gré du vent et contre toute attente, c’est plutôt agréable.

J’apprends aussi que dans tai (台風), le premier kanji signifie « plateau » et le second « vent ». Si l’idée de vent paraît évidente, notre professeur n’en sait pas vraiment plus sur le pourquoi du « plateau ». Internet me dit lui que l’origine du mot n’est pas vraiment connue et que le kanji qui désigne le plateau pourrait n’avoir été ajouté que pour des raisons phonétiques.

17h47, ma résidence via Gmail

Chers résidents,
(....)
Le typhon numéro 8 est en chemin vers Tokyo et devrait atteindre la ville après demain. Le typhon numéro 8 est plus puissant que la plupart des typhons.
Merci de redoubler de vigilance et de fermer soigneusement les portes et les fenêtres (dans votre chambre et dans les parties communes).
Veuillez protéger votre tête et faire attention aux rafales de vent et aux pluies violentes qui pourraient endommager les arbres et la signalisation si vous êtes à l'extérieur.
Veuillez noter que les trains, métros et autres services de transports pourront subir des retards.
Veuillez rester à l'intérieur et vous tenir au courant de l'actualité dans la mesure où il pourrait changer de vitesse ou de trajectoire. (…) »

La journée à traîner au lit se confirme. 

Jeudi 10 juillet

Il faut que j’aille faire des courses pour ne pas avoir à mettre le nez dehors le lendemain. L’image de mon téléviseur saute alors que les informations japonaises montrent les vidéos catastrophes du passage de Neoguri dans le sud du pays. Je ne comprends pas ce qui se dit mais peut-être que je devrais acheter plus de Coca.

16h00

L’heure est venue de contacter l’arrondissement de Taitō pour savoir si le cours du lendemain est maintenu. Comme nous avons été prévenus qu'il n'y aurait pas d'anglophone au bureau, je consacre de longues et pénibles minutes à la préparation de mon premier appel en japonais :

-         Sumimasen, ashita nihon go gakkou ga arimasu ka?[3]

J’ai dit « école » au lieu de « cours (de japonais) », je suis d’autant plus contente d'obtenir une réponse et de la comprendre. Je suis par contre un peu déçue du message : Hai, arimasu.[4]

Comment ? Allez Taitō, vous n’êtes pas sérieux : un typhon est sur le point de s’abattre sur la ville, ma résidence me demande de rester calfeutrée ou de sortir avec un casque et vous vous faites venir vos professeurs bénévoles pour les cinq élèves qui continuent à assister à vos cours ?! 

Mais comme je ne parle pas bien japonais, je me contente d’un : Arigatou… arigatou…arigatou.[5]

16h48

« Typhon Neoguri: Tokyo sous des trombes d'eau » titre le site de BFM TV.

Effectivement, je viens de recevoir quelques gouttes.

20h30

Le ciel est noir, il commence à pleuvoir. Je prends une photo témoin « avant la catastrophe » depuis la gare de Ueno.

La gare JR de Ueno (Iriya Gate)

Arrivée chez moi, je décide de garder la fenêtre ouverte pour écouter la pluie tomber. Je serai toujours à temps de la fermer lorsque je serai réveillée par la pluie sur mon visage.

Vendredi 11 juillet

Jour J

8h00

Il n’a pas plu cette nuit. Le temps est couvert mais lumineux, aucune bizarrerie météorologique à l’horizon. Sur internet, la météo heure par heure annonce une journée balançant entre temps clair et nuageux, pas la moindre averse de prévue.
 
Je ne comprends pas : il est quand le cataclysme ? Je dois aller travailler ce soir ?

8h50

Il fait beau. Depuis ma fenêtre, je crois pouvoir vous annoncer que le typhon a été annulé sur Tokyo… Qu’est-ce que je vais raconter à mes proches ?

Finalement, je suis contente d’aller en cours pour en savoir plus. En route, je prends une photo de ce ciel d’un bleu un peu trop vif. Plutôt qu'un typhon, tout ça m'a seulement l'air d'être la première vraie journée d'été de l'année.



9h30

Noda-sensei nous explique que finalement, le typhon était beaucoup moins important que prévu. Quand je fais remarquer qu’il n’a pas plu, il me rétorque que : si, si, il a un peu plu au sud de Tokyo.

AH.

15h07, ma sœur via Facebook

Alors le typhon... ?

Moi : La grosse arnaque le typhon.

Bonus Wikipédia :
Un cyclone tropical en météorologie, est un type de cyclone (dépression) qui prend forme dans les océans de la zone intertropicale à partir d'une perturbation qui s'organise en dépression tropicale puis en tempête. Son stade final est connu sous divers noms à travers le monde : ouragan dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord-Est, typhon en Asie de l'Est et cyclone dans les autres bassins océaniques. Structurellement, un cyclone tropical est une large zone de nuages orageux en rotation accompagnée de vents forts. (Source)


[1] Tsuyu (梅雨?, ou baiu, littéralement « pluie de prunes/pruniers ») désigne la saison des pluies japonaise débutant début juin et finissant mi-juillet (merci Wikipédia).

[2] Magasin ‘tout à 100 yens’

[3] Excusez-moi, y a-t-il école de japonais demain ?

[4] Oui.


[5] Merci… merci…merci

Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !