mercredi 20 août 2014

Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie I)

Parapluies perdus : 2 (Lieu et circonstances non clairement identifiés) 
Parapluie gagné : 1 (Lieu : Gotanda1, circonstances : sous une pluie battante, j'attendais l'accalmie sous le store d'un magasin ; une dame s'est approchée, m'a tendu le sien et est repartie héler un taxi.)

Ces six mois sont-ils passés vite ? Oui et non. La période a été suffisamment riche pour que j'ai l'impression d'avoir quitté Paris plusieurs années en arrière. Et sans chercher à verser dans le romantisme, je me réjouis au quotidien de pouvoir vivre cette expérience.

J'aime le fait de me sentir en sécurité, n'importe où et à n'importe quelle heure. En tant que femme, ce sentiment est d'autant plus appréciable et précieux — même si on s'habitue vite à ce genre de « luxes ». J'aime aussi avoir l’œil attiré par un truc non identifié dans une boîte mignonne à la caisse du supermarché, me demander à quoi ça sert et réaliser que « ah bah, ça sert à rien... ».

Appelle-moi Lune de Pacotille

Il y a d'abord eu l’exhalation de découvrir une langue dans laquelle je n'avais pas d'autre repère que celui de savoir que « tomate » se dit « tomato ». Un peu moins réjouissant, j'ai réalisé que mon niveau d'anglais n'était pas aussi amazing que ce que j'imaginais. Par chance, je n'étais pas à une remise en question près.

J'ai passé plusieurs semaines à m'astreindre tous les matins à regarder les programmes pour enfants en me disant que bientôt, je les comprendrai. Les mois ont passé et, mis à part quelques chorégraphies d'une utilité relative en société, je n'en n'ai pas tiré grand-chose.

NHK Eテル, 8h37 un beau jour de mars 2014
J'ai été prise dans les débats pédagogiques de ceux qui considèrent qu'il est plus simple de débuter son apprentissage directement en kana (hiragana et katakana, les phonèmes japonais) plutôt qu'en rōmaji (l'alphabet latin) et de ceux qui t'expliquent que plutôt que d'écrire en kana, il est préférable d'utiliser directement les kanji (les idéogrammes chinois). 
 
Concrètement, si j'ai très vite appris à lire les trucs vraiment importants, tels que カロリゼロ(karori zero), après six mois et un premier trimestre de cours2, je commence seulement à pouvoir écrire en kana, en utilisant les trois pauvre kanjis que je sais tracer. J'arrive à rédiger des messages courts dans un japonais approximatif — en comprenant de travers une question sur deux. J'ai ainsi découvert que mon prénom, devenu Agatsu3 pour en faciliter la prononciation, peut signifier, au choix, Lune paisible ou Lune de pacotille
 
J'ai encore beaucoup de mal avec les compteurs. En japonais, on compte différemment selon la catégorie de la chose (êtres humains, animaux de compagnie, étages, minutes, âge, objets longs et plats, objets cylindriques, etc.) les nuances me semblent encore infinies et c'est parfois décourageant. Je dois aussi comprendre qu'un phonème qui se lit « fu » peut être à la fois « fu » et un son étrange, similaire à celui produit quand on souffle sur des aliments pour les refroidir.

Parce que mon niveau de japonais était en deçà du sommaire, mes premiers mois de sociabilisation ont essentiellement consisté à fréquenter des expatriés. Ce n'était pas vraiment un choix. Simplement, comme il ne me paraissait pas très professionnel de fréquenter mes élèves, les liens que j'ai pu tisser ne l'ont été qu'avec des anglophones (et quelques francophones).  

Mais les choses évoluent doucement. Il m'arrive d'apporter des explications rudimentaires en japonais à certains élèves non-anglophones. Je discute avec ma caissière au supermarché. Je lui dis, en japonais, des trucs comme : « C'est pas cher, hein dites donc ! » Elle est bon public, elle rit. Il m'arrive de voir des élèves dans un cadre non-professionnel et j'ai même expliqué à un Japonais avec qui je préparais un okonomiyaki4 qu'il était trop tôt pour le retourner ET... il était effectivement trop tôt pour le retourner.  

Santé : je comprends (vaguement) les risques et je les accepte.  

Je n'ai toujours pas la moindre idée de mon degré d'exposition aux radiations mais je suis allée à la plage (deux fois) et j'ai mangé autant de sushi que mon budget précaire me l'a permis. Je peux maintenant dire que ma préférence va à l'engawa5et que, irradié ou pas, je pourrais en manger des tonnes. 

Du coup, entre les orgies de sushi, les tempuras et le karaage6, est-ce qu'on mincit vraiment au Japon ? Honnêtement, je n'ai aucune certitude là-dessus. Mais le fait est qu'à Tokyo, une foule de restaurants offrent la possibilité de faire un vrai repas équilibré, et sinon délicieux au moins très bon, pour moins de cinq euros (chose impensable à Paris). Je ne connaissais pas mon poids initial mais depuis que j'ai découvert une balance dans ma résidence, j'ai oscillé entre 44 et 47 kilos, avec une moyenne un peu en dessous de 45 kg. Mon indice de masse corporelle se situe donc autour de 20. Je pense que c'est très bien, et que le bénéfice en revient à la rajio taisou, la gymnastique à laquelle ma télévision et moi nous astreignons tous les matins :

 

Un autre mystère de mon quotidien est d'avoir jusque-là échappé à un accident de vélo. A Tokyo, les cyclistes sont les rois du trottoir, ils frôlent les passants avec une confiance qui me paraît complètement injustifiée — considérant ma tendance aux déplacements irrationnels. En prévision du moment où l'un d'entre eux me rentrera dedans, je vais donc tous les mois payer les 1290 yens (soit 9,40€) de mon assurance santé — publique — à l'épicerie du coin. Et l'expérience me paraît encore suffisamment exotique pour ne rien trouver à y redire. 

1五反田, quartier du Sud-Est de Tokyo appartenant à l'arrondissement de Shinagawa (品川区, Shinagawa-ku)
2Des cours de japonais sont proposés gratuitement à leurs résidents par chacun des arrondissements de Tokyo. Entre mai et juillet, j'ai donc pu profiter de deux matinées par semaine de cours animés par des volontaires.
3 En katakana :アガッツ et en kanji : 安 月
4L’okonomiyaki (お好み焼き) est une sorte d'omelette dans laquelle on mélange différents ingrédients au choix. On le fait généralement cuire soi-même sur une plaque chauffante incrustée dans la table du restaurant.
5L'engawa (えんがわ), est le sushi tiré d'un poisson appelé flet (flounder en anglais). Sa chair est blanche, sa texture est généralement fondante et son goût rappelle celui de l'huile de foie de morue.
6Le karaage (から揚げ) est une technique de friture japonaise. Le plus commun reste le karaage de poulet.

 Police de la coquille, merci de me contacter en cas de besoin !

Tokyo, M+3 : état des lieux
Tokyo, M+6 : état des lieux (Partie II)

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